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La guerre de l'opium

La guerre de l'opium

Titel: La guerre de l'opium Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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tour.
    —  Je vois que vous prenez soin des biens de la Compagnie. C’est bien…
    —  En ne laissant rien traîner, on évite de susciter des tentations. Nos deux sacristains chinois ont beau être des convertis de longue date, ils n’en restent pas moins chinois jusqu’au bout des ongles… lui confia, d’un air entendu, Freitas, qui ne se faisait visiblement aucune illusion sur l’honnêteté des intéressés.
    —  Selon vous, tous les Chinois seraient donc naturellement portés à voler… fit Suarez non sans une moue réprobatrice.
    —  Plus des trois quarts d’entre eux sont en état de survie. Quand on manque de tout, on ne s’embarrasse pas de certaines règles. Ce peuple a autant besoin de riz que de la parole du Christ…
    L’Espagnol tordit le nez mais s’abstint de relever. Il était bien obligé d’en convenir : quoique dérangeants parce qu’ils étaient de nature à troubler la bonne conscience de ceux qui faisaient passer les nourritures spirituelles avant les nourritures terrestres, les propos du Portugais étaient difficiles à réfuter. Pouvait-on empêcher des rats affamés de se servir dans un grenier plein à craquer où ils s’étaient engouffrés par un trou minuscule   ?
    Ces images de rongeurs déboulant par myriades bouffant tout ce qu’ils trouvaient sur leur passage le chamboulaient à un tel point qu’il préféra changer de sujet.
    —  J’ai eu vent de l’expérience de notre collègue le père Joachim de Vleughels, dans cette bourgade du sud de la Chine… Qu’en pensez-vous   ? demanda-t-il à son hôte.
    Ce jésuite flamand s’était fait remarquer par une innovation en matière de baptême collectif qui avait défrayé la chronique : à l’entrée d’une gargote, Vleughels faisait passer ses ouailles par groupes de vingt sous des jarres pleines d’eau bénite accrochées à un portique puis, d’un coup de marteau, il perçait les panses des vases dont le contenu se répandait sur les têtes des convives-catéchumènes qui, du coup, se retrouvaient baptisés sans crier gare. Des centaines de Chinois étaient ainsi passés entre ses mains expertes.
    —  Ici, à Shanghai, la police ne nous laisserait pas agir de la sorte. Dans les grandes villes, les nez longs, comme ils disent, font l’objet d’une surveillance constante de la part de la police. Si on vous surprenait en train de charrier des jarres, on vous soumettrait tout de suite à la question…
    —  Mais quelle est votre opinion sur la façon de procéder du père de Vleughels   ? insista l’Espagnol.
    —  Euh   ! J’approuve son action… lâcha, du bout des lèvres, Freitas, qui ne l’approuvait pas mais ne tenait pas à ce que cela se sût à Macao.
    Il conduisit Suarez à la salle à manger où les attendaient les deux autres pères jésuites de la communauté, ainsi qu’une vieille amah édentée qui se cassa en deux dès qu’elle les aperçut.
    —  Nous aurions dix jésuites de sa trempe et notre action apostolique avancerait à pas de géant   ! lâcha le père Juan sur un ton lyrique.
    Freitas fit installer son invité à la place d’honneur, en bout de table et devant la pyramide de viennoiseries encore tièdes que l’amah venait d’y disposer,
    —  Que souhaitez-vous   ? Petit déjeuner à la chinoise ou à l’européenne   ? Notre bonne fait d’excellents croissants.
    —  Ils sont très appétissants… convint l’Espagnol avant de se faire servir un verre de thé brûlant.
    Pour le Portugais, il était temps de passer aux choses sérieuses et de montrer que sa communauté était un modèle à la fois d’évangélisation et de prospérité économique car, chez les jésuites, l’un n’allait jamais sans l’autre. Plongeant gaillardement la pointe de son croissant dans une coupelle de confiture de pêches, il crut bon de lâcher à l’inspecteur :
    —  Je suis bien entendu à votre disposition pour répondre à toutes vos questions et vous renseigner sur certains points particuliers que vous souhaiteriez aborder avec moi, père Suarez…
    —  Où en sont nos amis lazaristes   ? J’ai ouï dire que Mgr Mouly déploie à Pékin une activité débordante… lança alors l’Espagnol, l’air un peu pincé.
    Une sourde et tenace rivalité opposait les jésuites aux lazaristes depuis que ces derniers avaient « osé   » faire de la Chine - même si c’était à la demande expresse du pape Pie VII - l’une de leurs principales terres de

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