La guerre de l'opium

on arrosait la mer, il en restait toujours quelque chose, avec l’aide de Dieu, bien sûr…
    —  Ce n’est pas moi qui démentirai vos propos sur mon grand frère   !
    Roberts écarquilla les yeux.
    —  Ton grand frère   ? Mais de quel grand frère parles-tu   ?
    —  De Jésus le Christ, pardi   !
    Aussitôt, l’Américain referma sa Bible, se leva et s’approcha de son interlocuteur qu’il toisa avant de le dévisager d’un air furieux.
    —  Que cherches-tu, au juste   ? demanda-t-il à son visiteur qui se prenait pour le petit frère de Dieu.
    —  Vous, mon révérend   ! Cela fait deux mois que j’essaie de vous retrouver   ! À présent, je touche enfin au but… Loué soit le Christ, mon frère aîné   ! s’écria Hong.
    Les yeux exorbités, il se jeta à genoux, ouvrit les bras en croix puis tourna son visage vers l’unique source de lumière de la pièce comme s’il s’agissait de l’Esprit saint en personne.
    Roberts était de plus en plus intrigué par cet étrange personnage dont l’exaltation et le mysticisme ne paraissaient pas feints.
    —  Que fais-tu dans la vie, Hong Xiuquan   ? Que font tes parents   ?
    —  Mon père est d’origine hakka {27} . Il travaille la terre dans un petit village non loin d’ici, à Jintiancun.
    —  Quel métier exerces-tu   ?
    —  Moi, je ne fais rien, si ce n’est qu’en tant que frère cadet de Notre-Seigneur, j’ai été chargé par le Tout-Puissant Dieu d’exterminer tous les démons gui ainsi que toutes les puissances du Mal qui stationnent impunément dans les nuages au-dessus de nos têtes et qui sont prêtes à fondre sur nos pauvres crânes   ! hurla l’intéressé en tendant vers le ciel un poing vengeur.
    —  Que voilà un vaste et beau programme, Hong   ! Je crains malheureusement de ne pas pouvoir grand-chose pour toi   ! lâcha l’Américain qui le regardait désormais avec commisération.
    Furieux, Roberts regrettait de s’être laissé aller à entamer un dialogue avec ce pauvre illuminé qui mélangeait allègrement Dieu et les gui … cet adepte des mélis-mélos à la sauce jésuite   !
    —  À cette fin, Dieu en personne m’a remis le Grand Glaive…
    —  Le Grand Glaive   ! ne put s’empêcher de répéter le pasteur, aussi interloqué qu’ulcéré.
    —  Oui, l’Épée Flamboyante   ! Le Tout-Puissant me la remit au cours d’un rêve, pendant la nuit inoubliable où Il daigna prendre contact avec Hong, Son humble serviteur   ! poursuivit ce dernier, imperturbable, tout en faisant le geste de frapper un ennemi invisible avec le plat d’une épée tenue à deux mains.
    C’en était trop. Le pasteur posa une main sur la Bible et, bien décidé à renvoyer l’illuminé sacrilège dans ses cordes, lui rétorqua :
    —  Ne viens-tu pas de dire toi-même que ce n’était qu’un songe   ?
    —  Je ne vois pas ce qu’il y a là de choquant, mon révérend   !
    —  Il ne faut pas confondre rêve et réalité   !
    —  Ici, nous avons un proverbe qui dit : la langue est de chair, la vérité est de fer   ! Dieu étant pur esprit, je ne vois pas ce qu’il peut y avoir de différent entre le rêve et la réalité. Les personnes que je vois dans mes rêves sont bien vivantes. Elles existent. Sauf qu’elles sont dans un autre monde   !
    —  Balivernes   !
    —  Vous avez tort. Un homme de foi ne doit jamais douter de l’existence de Dieu. Lorsque je me suis réveillé, j’étais un autre homme… Dieu m’a visité   ! Je suis l’élu de Dieu   ! Je dis la vérité, mon révérend, et je vous demande de me croire, sinon, je finirai par douter de la sincérité de vos prêches…
    Hong, de plus en plus exalté, ne laissait pas Roberts en placer une. À bout de souffle, il se tut, ce qui permit au pasteur d’ajouter :
    —  Élus de Dieu, nous le sommes tous, à condition que nous nous convertissions à Ses Divins Commandements, c’est-à-dire à respecter avec scrupule ce qui est écrit dans les Saintes Ecritures   !
    Alertés par l’agitation qui régnait dans la pièce principale, La Pierre de Lune et Laura étaient discrètement venus se poster derrière la porte de la cuisine, et observaient cette scène surréaliste avec un certain effarement.
    —  Ceci est mon livre de chevet   ! déclara Hong avec emphase, tout en extirpant de son sac un opuscule qu’il tendit à Roberts.
    C’était un exemplaire du catéchisme de Matteo Ricci. Le pasteur baptiste fit la