La guerre de l'opium
maladresse.
Lorsqu’il déboula dans le salon d’apparat de sa demeure, le globe oculaire de l’œil droit rougeoyant comme un bouchon de carafe de cristal de Bohême de couleur grenat, et qu’il aperçut Antoine Vuibert, sagement assis dans un fauteuil face à celui du jésuite, les pulsations cardiaques de Jack Niggles s’accélérèrent brusquement.
Assurément, « beau comme un Dieu », baby face comme aimaient surnommer leurs gitons, à l’instar d’Oscar Wilde, les homosexuels anglais, le jeune Français était tout cela à la fois, avec sa jolie petite face d’ange, l’élégance naturelle de sa pose, sans compter sa silhouette athlétique au port du meilleur effet ! Après cette entrée en matière, les yeux de l’Anglais se fixèrent sur les jambes du Français, fuselées, moulées dans un pantalon à rayures qui les allongeait, croisées avec détachement et nonchalance, en un mot follement érotiques ! Le marchand d’opium trouvait même à Antoine, sous ses faux airs d’enfant de chœur, un petit côté « canaille » qui le ravissait.
Il n’en fallait pas plus à Niggles, ébloui et ravi, ému comme un premier communiant allant pour la première fois aux filles - ou aux garçons ! -, pour tomber sous le charme…
Freitas, s’apercevant qu’il avait fait mouche, se leva, ravi, pour faire les présentations.
— Monsieur Niggles, j’ai le plaisir de vous présenter M. Antoine Vuibert.
— Enchanté ! Comment allez-vous ? s’écria Jack en tendant la main au jeune Français dont il ne fut pas surpris de constater que la peau était fraîche et douce… comme celle de Garçon des Nuages…
Il frissonna. C’était là une pensée qu’il s’empressa de chasser de son esprit. Devant ce séduisant Français, ce n’était vraiment pas le moment de faire resurgir un passé douloureux qui eût accru son trouble, alors même qu’il lui fallait rester concentré pour ce premier examen de passage.
— Heureux de faire votre connaissance, Monsieur Niggles. Le père Freitas m’a beaucoup parlé de vous, fit Antoine, sans se rendre compte que son sourire faisait fondre son hôte à toute allure comme un morceau de sucre dans une tasse de thé brûlant.
— Vous parlez parfaitement anglais ! Quelle bonne surprise pour moi ! fit l’Anglais sur un ton enjoué avant de s’éponger le front.
Une baby face aussi gentille et polie, qui, de surcroît, ne se rendait compte de rien, c’était trop excitant !
— Je vous avais dit que M. Vuibert parlait admirablement l’anglais ! s’exclama le jésuite à l’attention de Niggles, qui lui répondit par un clin d’œil appuyé.
Antoine, imperturbable, crut bon de se récrier :
— Admirablement, c’est quelque peu exagéré. Disons que j’ai suivi quelques cours d’anglais à la Sorbonne. A vrai dire, je le baragouine plus que je ne le parle, n’étant pas allé assez souvent en Angleterre pour m’exprimer de façon fluide…
— Vous êtes bien trop modeste, cher monsieur… susurra le marchand d’opium de plus en plus émoustillé.
— J’essaie d’être lucide !
Jack, après s’être passé machinalement la main dans les cheveux, se racla la gorge.
— Le père Freitas m’a dit le plus grand bien de vous. Il paraît que vous aimez faire des affaires… Ici, en Chine, c’est un peu le paradis pour les beaux jeunes gens intrépides…
— Je pense en tout cas être quelqu’un qui aime l’action. Cela étant, il faut que je fasse mes preuves ! Des affaires, en tout état de cause, je ne connais pas grand-chose ! se borna à répondre Antoine, légèrement sur ses gardes devant une telle avalanche de compliments.
Niggles, tout en faisant signe à son serviteur, approcha son fauteuil de celui du Français.
— Pour réussir en affaires il faut savoir faire la part des choses entre l’audace et le risque… Bref, une clairvoyance dont je vous sens parfaitement capable… Zhong, veux-tu nous apporter des jus de mangue et des yuebing , s’il te plaît ?
Quelques instants plus tard, Zhong réapparut avec une assiette de petits gâteaux dont le feuilletage aérien servait d’enveloppe croustillante à une délicate mixture à base de jaune d’œuf et de noix de coco.
— Ils sont vraiment délicieux… fit poliment Antoine après en avoir mâché un.
Il ne savait trop quelle attitude adopter et se demandait ce que pouvait bien cacher un tel
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