La Guerre Des Amoureuses
d’aussi drôle, madame,
vous devriez venir ! s’exclama-t-elle.
Les deux dames d’honneur aidèrent la reine à
se lever tant elle avait de difficultés à bouger avec sa goutte. La soutenant, elles
l’accompagnèrent sur la loggia en passant par un cabinet où la reine rangeait
ses affaires privées.
Ludovic se trouva seul dans la salle. Comme le
valet avait refermé la porte, les gentilshommes de la reine qui se trouvaient
dans la pièce d’à côté ne pouvaient le voir.
Il aperçut alors, sur une table d’angle du
cabinet, près d’une des fenêtres donnant sur le chemin de ronde, le coffret à
flacons de Ruggieri qu’il avait vu à Paris. Pris d’une idée subite, il s’approcha.
Et s’il prenait un flacon de poison ? se dit-il. Il ouvrit prestement le
coffret et découvrit les flacons qu’il avait vus à l’hôtel de la reine. Lequel
prendre ? se demanda-t-il. Le noir lui parut le plus sinistre. Il s’en
saisit, le glissa dans son pourpoint et referma le coffret à l’instant où la
reine revenait de l’oratoire.
— Vous auriez dû m’accompagner, Ludovic. C’était
d’une drôlerie !
— Je le sais, madame, j’espère un jour
atteindre le niveau de leur art.
— N’oubliez pas de parler à Isabella. Ne
me décevez pas ! Hélène, raccompagnez-le !
Ludovic sortit en se disant que s’il pouvait
faire absorber rapidement ce poison à Isabella, il serait sauvé et n’aurait pas
à fuir…
Serrant précieusement le petit flacon noir au
fond de sa poche, il quitta le château en réfléchissant sur la façon dont il
allait s’y prendre. Il était bien sûr impossible de vider son contenu dans un
verre lorsque les Gelosi dînaient, en revanche, empoisonner l’aiguière d’eau de
la chambre des Andreini lui parut plus sûr.
Après réflexion, il jugea que ce n’était pas une
bonne idée, car si Francesco se servait de l’aiguière, il mourrait et Isabella
devinerait tout. À ce point de ses réflexions, il fut pris d’un doute. Et si le
flacon ne contenait pas de poison ? Il se dit qu’il devait faire un essai
sur un animal. Mais lequel ? S’il utilisait un chien, il risquait de ne
pas avoir assez de produit, et on pourrait s’interroger en découvrant le
cadavre de l’animal.
Il songea à une souris. Arrivé à l’auberge, il
avisa un garçon d’écurie et lui demanda de lui attraper une souris ou un mulot,
en justifiant qu’il en aurait besoin pour son spectacle. Le gamin, qui avait l’habitude
de piéger les rongeurs dans le cellier, lui promit de lui en apporter un dans
une des petites cages de bois qu’il utilisait.
Moins d’une heure plus tard, Isabella rentrait
au Cheval noir en compagnie des deux autres comédiennes de la troupe, Maria,
l’épouse de Pantalone, et Flaminia, la femme de Flavio. Elles y attendraient
les autres comédiens pour dîner à l’auberge.
Depuis plusieurs jours, Isabella était
préoccupée, et si elle ne parlait plus à Ludovic, ce n’était pas parce qu’elle
se méfiait toujours de lui car, n’ayant rien découvert, ses soupçons s’étaient
atténués. Non, la véritable raison de son angoisse portait sur l’enlèvement de
cette femme à Montauban dont Gabriella lui avait parlé.
Pourtant, à ce moment-là, elle n’avait pas
voulu s’y intéresser. Sans doute n’y croyait-elle pas jusqu’au jour où elle
avait appris que Mme de Montpensier, souffrante, avait quitté
Chenonceaux soi-disant pour rentrer à Paris. Elle s’était renseignée. La duchesse
était, en réalité, partie par la route de Tours avec une troupe armée dirigée
par un nommé Cabasset, capitaine du duc de Mayenne qui venait justement de
revenir de Guyenne. Les voisins de Gabriella, logés à la Baiserie, les
accompagnaient.
Étaient-ils partis pour Montauban enlever
cette Cassandre ? Cela paraissait maintenant vraisemblable. Ne devait-elle
pas en parler à la reine ? Mais porter une telle accusation contre la sœur
du duc de Guise, avec pour seul témoin une personne qui n’était plus là était
impossible. Elle serait accusée de diffamation. Devait-elle pour autant rester
silencieuse ? Sa conscience s’y opposait, mais que faire d’autre ? Elle
se sentait rongée par le remords et l’impuissance.
Elle traversa la cour de l’hôtellerie sans se
rendre compte que Ludovic la regardait arriver de la fenêtre de sa chambre.
Un peu plus tôt, le garçon d’écurie lui avait
apporté une souris dans sa cage. Sitôt seul, il
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