La Guerre Des Amoureuses
ainsi que le nom et la qualité de ceux qui devaient y
loger. En même temps, toutes les chambres d’auberge avaient été réservées. La
Cour devait rester trois jours avant de repartir vers La Haye. Les Gelosi et
Olivier furent logés à l’enseigne du Cheval noir, à côté du couvent des
Ursulines. Dès le lendemain de leur arrivée, le majordome de la reine convoqua
les comédiens au château afin qu’ils préparent la grande salle du Logis royal
dans laquelle ils donneraient leur spectacle.
Depuis deux semaines,
le ventre perpétuellement noué par la peur, Ludovic Gouffier ne dormait plus, persuadé
que, s’il fermait les yeux, les Gelosi en profiteraient pour lui faire un
mauvais sort. Il tentait vainement de se rassurer en se disant qu’il n’avait
jamais rien laissé permettant de l’incriminer, mais Gabriella était bien venue
en France pour mettre en garde Isabella contre lui et celle-ci avait bien
fouillé son coffre. Il l’avait aussi entendu proposer à son amie de revenir à
Mantoue, ce qui signifiait qu’Isabella avait été innocentée. Sans doute le
vice-podestat avait-il découvert dans le couteau factice la pièce qui empêchait
la lame d’entrer dans le manche. Dès lors, le magistrat avait dû en déduire qu’il
s’agissait d’une tentative d’assassinat préparée par un des comédiens, et
Ludovic, dernier arrivé dans la troupe, avait dû être le premier soupçonné.
Isabella l’évitait et ne lui adressait plus la
parole. Quand allait-elle dire à Flavio qu’il était le responsable de ses
tortures et de leur emprisonnement ?
À Chenonceaux, chaque matin, après une nuit
sans sommeil, il décidait de fuir, puis il repoussait sa décision quand il s’apercevait
que les autres comédiens le traitaient toujours amicalement.
Pourquoi Isabella ne le dénonçait-elle pas ?
Par manque de preuves ? Sans doute. Après tout, elle ne pouvait deviner la
raison pour laquelle il avait truqué le couteau. À moins qu’elle attende un
moment favorable pour se venger. Chaque heure, chaque minute, il craignait d’être
saisi par ses compagnons, traîné dans un bois et découpé en lanières. Pourtant,
s’il reçut des injures de Flavio, ce fut seulement parce qu’il jouait de plus
en plus mal sur scène.
Le voyage entre Chenonceaux et Loches avait
été un supplice. L’un de leurs chariots s’était embourbé et ils s’étaient
trouvés isolés dans la forêt. Ludovic avait bien cru sa dernière heure venue
tant l’occasion était propice pour Flavio de le torturer à mort, mais personne
n’avait fait attention à lui.
Son idée de faire disparaître Isabella lui
paraissait désormais irréalisable. À moins de la tuer devant tout le monde, il
n’avait jamais eu d’occasion. Et s’il se faisait prendre, c’était la question, puis
l’exécuteur de la haute justice qui lui couperait les mains et les brûlerait
avant de le pendre. Il avait assisté à ce tourment plusieurs fois devant la
Croix-du-Trahoir.
Entre les supplices de Flavio et ceux du
bourreau, quel espoir lui restait-il ? Ne pouvant plus supporter ces
perpétuelles terreurs qui le rongeaient, il prit la décision de fuir en
arrivant à Loches. Il savait même où il irait. Retourner en Italie n’était pas
envisageable : les Gelosi le retrouveraient partout et le marquis
Guglielmo Gonzaga était puissant. Revenir à Paris était tout aussi impossible, car
il y était trop connu.
Il se rendrait à Cognac.
Dans la large ceinture de cuir qu’il portait à
même la peau, il y avait sept cents écus d’or. Ceux que lui avait donnés
Catherine de Médicis et ceux qu’il avait gagnés. Avec ça, il pourrait vivre des
années. À Cognac, il ferait des recherches autour de l’abbaye de Notre-Dame de
Châtres. Peut-être le prieur n’était-il pas mort, peut-être avait-il laissé à d’autres
les papiers qu’il possédait, ou bien les avait-il cachés. Il pourrait aussi
interroger les notaires du pays. Avec un peu de chance, il s’était persuadé qu’il
parviendrait à rentrer en possession de sa maison de Garde-Épée.
Avant de monter au château avec les autres
comédiens, il se rendit à l’une des écuries qui se trouvaient le long des
remparts. Là, on lui proposa deux bons chevaux, une selle et un équipement de
voyage comprenant des bottes de cavalier, une grosse couverture et un épieu, pour
une centaine d’écus. Il avait déjà fait la route de Cognac à Paris et se savait
capable d’y
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