La Guerre Des Amoureuses
rideaux
où reposait Isabella, rigide, livide, morte. Les deux comédiennes sanglotaient.
Olivier Hauteville, assis sur le lit, lui tenait les mains comme pour tenter de
la ranimer.
— Que se passe-t-il ? s’enquit
Ludovic en dissimulant sa joie.
— Cours chercher Flavio et Francesco, Ludovic !
Isabella a eu un malaise. Trouve aussi un médecin !
— Il faudrait des sels, proposa-t-il, pas
pressé de partir.
— Inutile ! intervint Olivier, Mme Andreini
ouvre les yeux ! Ce ne sera rien…
Isabella ouvrait en effet les yeux, et son
premier regard tomba sur Olivier. Son sauveur, celui qui l’avait ramenée du
pays des morts ! Elle ressentit la chaleur des mains qui tenaient les
siennes et reprit vie.
Son cœur s’emplit brusquement d’un sentiment
de reconnaissance et d’amour d’une force qu’elle n’avait jamais connue.
— Olivier… murmura-t-elle.
— Ludovic, qu’attends-tu ? Va vite
chercher Flavio et Francesco ! cria Maria.
Ludovic était paralysé par la terreur. Elle
vivait ! Le flacon ne contenait donc pas de poison ! Il devait fuir, vite !
— J’y vais, balbutia-t-il en sortant.
Dans le couloir, il aperçut les deux pommes et
les ramassa. Il se précipita dans sa chambre, ouvrit sa malle, vida son contenu
dans deux grands sacs de toile, jeta les pommes à l’intérieur, défit son
pourpoint, détacha sa ceinture contenant sa fortune, sortit cent écus, se
rhabilla, remplit ses poches des écus, mit son manteau, saisit toutes les
couvertures de la chambre, prit son sac, ramassa une dague et un pistolet, et
sortit en courant.
Bien que surpris de sa précipitation, le
patron de l’écurie fit seller la jument hongre qu’il lui avait vendue sans
poser de questions. Ludovic vida ses sacs dans les sacoches du second cheval. Vérifia
l’équipement, attacha tout son matériel avec des sangles, paya et partit.
Passé la porte de la ville, il s’arrêta à une
boulangerie dans le faubourg pour acheter un pain de seigle, puis mit ses
chevaux au trot. Il fallait qu’il soit loin avant la nuit.
Dans la chambre, Isabella
avait l’esprit complètement engourdi, envahi par une passion qui avait chassé
tous les autres sentiments. Elle serait restée prostrée s’il n’y avait eu
Olivier, l’homme qu’elle chérissait désormais le plus au monde.
La voyant ainsi affaiblie, le jeune homme se
leva pour lui servir un verre de vin de Touraine qu’il avait fait monter. Il s’assit
à nouveau sur le lit et la fit boire avec une grande douceur. Un peu de couleur
revint sur les joues de la jeune femme.
— Que m’est-il arrivé ? demanda-t-elle.
— Tu as croqué dans la pomme, et tu es
tombée, déclara Maria.
— La pomme ? Je ne me souviens plus…
Mais… pourquoi suis-je là ?
— Je ne sais pas ! répondit Maria, debout,
les mains sur les hanches. Tu nous as seulement dit que tu voulais parler à M. Hauteville.
Nous t’avons accompagnée.
— Pourquoi ? demanda Isabella à
Olivier.
Toujours assis sur le lit, il se mit à rire :
— Je l’ignore, madame ! Vous avez
frappé à ma porte et quand j’ai ouvert, vous étiez couchée sur le plancher.
— Comme c’est étrange, dit-elle. Je ne me
souviens de rien…
Elle se redressa et s’assit, balayant la pièce
des yeux.
— Nous sommes à Loches… C’est ça…
Maria se mit à rire en approuvant.
— Tu nous as fait peur, tu sais !
— La mémoire me revient, dit Isabella en
regardant béatement Olivier. C’est pour Gabriella… poursuivit-elle.
— Gabriella ? s’exclamèrent ensemble
Maria et Flaminia, abasourdies.
— Je ne vous l’ai pas dit, mes amies, et
je le regrette maintenant : Gabriella est vivante. Elle est venue me
trouver à Chenonceaux.
— Que dis-tu ?
— Qui est Gabriella ? demanda
Olivier, étonné.
— Une comédienne comme nous, que je
croyais avoir tuée par accident. Je vous raconterai tout dans un instant, monsieur
Hauteville.
Elle poursuivit à l’égard de ses deux amies :
— Gabriella est venue pour me mettre en
garde. Elle a été soignée au château de monseigneur de Gonzague et a guéri… Il
faut réunir la troupe, j’ai été folle de ne pas parler plus tôt. Le
vice-podestat a découvert que le couteau de scène avait été truqué… Quelqu’un
voulait que je tue Gabriella…
— Je ne comprends rien, dit Olivier, soudain
sérieux.
— Je vais vous expliquer, monsieur
Hauteville, c’est promis, lui sourit Isabella
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