La Guerre Des Amoureuses
rangea des couvertures et ses affaires puis il se rendit à l’hostellerie
de la Tonnellerie, une auberge à la façade couverte de lierre située au bout de
la Grande-Rue.
Il trouva Michel de Montaigne qui finissait de
dîner dans la grande salle. Seul à sa table, il mangeait avec ses doigts un
ragoût de lapin.
— Monsieur Hauteville ! s’exclama l’ancien
maire de Bordeaux la bouche pleine. Êtes-vous avec la Cour ?
— Oui, monsieur, je tiens les registres
des comptes de la prévôté de l’hôtel.
— Tenez-moi compagnie ! Comme vous
le voyez je suis seul, je vais vous faire porter du vin !
— Merci, monsieur, mais je ne peux rester.
J’ai appris par mon ami qui est le prévôt de l’hôtel…
— Monsieur Poulain ?
— Oui… que vous étiez là. Nous venons de
découvrir une infâme entreprise qui se trame contre le roi de Navarre. Nous
quittons la ville dans deux heures pour la déjouer.
Montaigne le dévisagea avec une évidente
suspicion.
— Dites-m’en plus, demanda-t-il enfin.
— Mme de Montpensier est partie
pour Montauban afin de saisir en otage mademoiselle de Mornay dont vous m’aviez
porté une lettre. Nous devons rattraper la sœur du duc de Guise et l’empêcher
de nuire.
Montaigne resta silencieux. Il prit avec les
doigts un morceau de râble et commença à le dépecer soigneusement.
— Pourquoi Mme de Montpensier
agirait-elle ainsi ? s’enquit-il enfin.
— Pour gouverner à sa guise M. de Mornay
lors de l’entrevue.
Montaigne hocha du chef. Avec un tel otage, les
Guise pourraient en effet peser dans les négociations à venir.
— Pourquoi êtes-vous venu me trouver ?
demanda-t-il encore au bout d’un instant.
— Vous aurez certainement l’occasion de
rencontrer Mgr de Navarre. Rapportez-lui ce que je viens de vous dire. Dites-lui
aussi de se méfier des comédiens, des Gelosi. Qu’il ne reste jamais avec eux. Qu’il
n’ait confiance en personne. Plusieurs partis ont prévu sa perte et ce projet
de conférence n’est qu’un piège.
— Je le ferai, dit lentement Montaigne. Vous
me paraissez bien informé… Vous partez donc avec M. Poulain ?
— Oui, monsieur.
— Seuls ?
— Oui, monsieur.
Montaigne secoua la tête négativement.
— Vous paraissez ignorer l’état du pays, mon
garçon ! Vous n’arriverez jamais à Montauban.
— Je n’ai pas le choix, monsieur. Madame
de Montpensier est partie il y a déjà deux semaines. Je viens juste d’apprendre
qu’elle voulait enlever Cassandre.
— C’est sans doute trop tard.
— Elle voulait rejoindre son frère en
Guyenne, cela lui aura fait faire un détour.
Montaigne grimaça. Il se méfiait malgré tout, même
si ce garçon avait un accent de sincérité. Pourtant, aurait-il pu inventer une histoire
si invraisemblable ?
— À Montauban, j’aurais peut-être du mal
à entrer dans la ville. Me feriez-vous une lettre pour son gouverneur ?
— Je croyais que vous connaissiez M. de Mornay.
— Je l’ai rencontré dans des
circonstances… difficiles.
— L’affaire des neuf cent mille livres ?
— Oui, monsieur.
— Vous voulez que je vous fasse confiance,
mais vous taisez le plus important.
— Vous avez raison, monsieur… Voici l’histoire
en quelques mots…
D’une seule traite, il raconta la fraude de
Salvancy, la mort de son père, comment Cassandre s’était introduite chez lui, comment
avec des gens du roi – qu’il ne nomma pas – il avait volé les quittances, et
comment M. de Mornay les lui avait reprises. Sans mentionner le rôle
de Poulain dans la Ligue, il parla du barbu manchot qui s’était introduit chez
lui, et qui était maintenant avec Mme de Montpensier.
Ce ne pouvait être que la vérité, songea
Montaigne quand il eut terminé, car personne – sauf peut-être un auteur de
romans – n’aurait pu inventer une histoire aussi incroyable.
— Repassez dans deux heures, monsieur Hauteville,
dit-il. J’aurai fait votre lettre.
Olivier repartit vers la rue aux Ours, une
voie située entre l’enceinte et le château. À l’origine, c’était une rue
réservée aux chanoines de la collégiale, aussi était-elle fermée par une porte
fortifiée. Il savait que Mme Sardini logeait dans la maison de l’Argentier [65] , et elle accepta de le recevoir immédiatement quand il eut expliqué au
Suisse Hans que sa visite était très urgente.
Isabeau de Limeuil, toujours pâle et amaigrie,
était assise sur
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