La Guerre Des Amoureuses
pas de renforts à son frère.
— Seulement, nous serons toujours aussi
faibles, monseigneur, remarqua Turenne. Il nous faudrait un an, un an
tranquille, pour reconstituer nos forces.
Le Béarnais eut un sourire rusé en se coupant
une nouvelle tranche de pâté aux cèpes.
— C’est là que monsieur de Montaigne
intervient…
D’un regard, il lui donna la parole.
— Aux premiers jours du mois de février, commença
Montaigne, je terminais la lecture d’un livre, dans ma bibliothèque, quand on m’annonça
une troupe de cavaliers. Tous mes gens se sont armés, des reîtres de Mayenne
étaient déjà venus et j’avais dû envoyer un messager à Matignon pour les faire
partir. Mais ce n’était qu’une fausse alerte. À la tête de cette troupe se
trouvait un officier de Catherine de Médicis que je connaissais. Il avait un
message pour moi. La reine me mandait sur-le-champ à Paris.
Chacun était attentif, sauf Navarre qui avait
entendu l’histoire la veille en arrivant, et qui souriait en découpant des
tranches de châtaignes avec sa dague qu’il déposait ensuite avec gourmandise
sur son pâté.
— Nous avons mis moins de trois semaines,
parfois au galop. Les étapes étaient bien préparées et la troupe suffisante
pour ne pas être attaquée. Les laissez-passer de la reine ont fait merveille, même
avec les officiers de Mayenne.
» À Paris, la reine m’a reçu dans son
palais sans même que j’aie débotté. Elle avait préparé une proposition que je
devais porter rapidement à monseigneur de Navarre. Je suis reparti aussitôt, toujours
avec une escorte que j’ai laissée chez moi. Je suis ensuite venu ici seul avec
deux hommes d’armes et un laissez-passer du roi.
— Quelle proposition ? demanda Rosny,
sans cacher son intérêt, et son inquiétude.
Navarre était impassible. Il mastiquait ses
châtaignes, comme s’il n’était pas concerné, mais son regard inquisiteur
guettait les réactions.
Montaigne regarda chacun avant d’annoncer :
— La reine souhaite négocier avec
monseigneur, elle désire une rencontre…
— Une rencontre ! s’étouffa Mornay. Avec
celle qui a organisé la Saint-Barthélemy ! Impossible !
— Elle est déjà venue jusqu’ici, rétorqua
Navarre, en découpant une tranche de pain et en se servant un morceau de jambon
de sanglier. Et personne n’est mort après sa visite. Au contraire, c’est elle
qui a été malade !
Sept ans plus tôt, Catherine de Médicis était
arrivée à Nérac avec sa maison et son escadron volant. Officiellement, elle
ramenait Margot à son époux. Officieusement, elle avait décidé plusieurs
conférences pour réconcilier catholiques et protestants. Trois cents des plus
belles jeunes filles du royaume étaient censées amadouer ses adversaires.
Anne d’Acquaviva, maintenant épouse du financier da Diacceto, en avait séduit
plus d’un, et l’un de ses amants, le baron d’Ussac, pour la récompenser de ses
blandices, avait même livré la ville dont il était gouverneur ! Rosny et
Turenne aussi avaient succombé, ainsi que plus de vingt autres gentilshommes, qui
eux étaient allés jusqu’à la trahison en rejoignant les catholiques. Malgré
cela, Catherine n’avait rien obtenu.
Navarre s’en souvenait encore. Il ne
sous-estimait ni la reine ni son haras de putains.
— La rencontre aurait lieu ici ? demanda
Rosny.
— Non, elle souhaite que ce soit le long
de la Loire, Angers, ou à la limite Chenonceaux, répondit Montaigne. Elle
propose une trêve et jure de votre sécurité, même si vous venez à Paris.
— On a déjà joué à la trêve, à Coutras, rappela
Rosny, dans un rayon de deux lieux nous devions fraterniser, et au-delà nous
couper la gorge !
— Elle rêve ! s’exclama Condé.
— C’est moi qui choisirai le lieu et le
jour, décida Henri la bouche pleine… On a fait mourir ma mère à Paris, on y a
tué l’amiral et mes meilleurs amis et serviteurs, je n’y retournerai que roi…
Il regarda ses amis et ses capitaines l’un
après l’autre avant d’ironiser, en prenant d’autres châtaignes :
— Il est plus raisonnable pour elle de se
fier à moi, que moi de me fier à elle. Mais une rencontre aurait l’avantage de
nous laisser du temps…
— Je comprends, dit Rosny. Le temps de
faire entrer des troupes allemandes et suisses qui nous manquent et de
reconstituer nos forces…
— Je persiste à penser qu’il vaut mieux
se battre que négocier avec
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