La Guerre Des Amoureuses
l’Allemand qui visiblement aimait plaisanter.
Ses compagnons les entouraient, tous de
joyeuse humeur. Certains tenaient des piques garnies d’une queue de renard, d’autres
des hallebardes, d’autres encore portaient leur zweilhander suspendue au
travers de leur dos au moyen d’une courroie. Tous avaient, dans un fourreau
pendu sur l’estomac, une courte et large épée à double tranchant qu’ils
surnommaient la mutileuse.
Déjà Nicolas Poulain avait sorti sa bourse et
compté trois ducats d’or à quatre livres dix sous.
L’autre les compta puis leva un sourcil, mélange
d’étonnement et de satisfaction.
— Merci, messeigneurs, nous sommes
désolés d’être des voleurs, mais il nous faut bien vivre. Et comme vous avez
été généreux, nous vous invitons à dîner. Notre camp est par là !
L’invitation ne pouvait être refusée et, de
mauvais gré, ils les suivirent dans une clairière proche. Il y avait là des
chariots, des femmes et des enfants. Même en campagne, les lansquenets avaient
coutume d’être accompagnés de leur famille.
Un mouton grillait sur un feu et l’odeur était
fort appétissante. Nos amis décidèrent de faire contre mauvaise fortune bon
cœur.
Le chef, qui se nommait Heinz, les présenta à
son épouse, une grosse femme à la poitrine plantureuse entourée d’une marmaille
innombrable, et leur proposa des sièges pliants.
— D’où venez-vous ? demanda
Venetianelli.
— Du Palatinat. Nous avons été recrutés
par un condottiere pour une compagnie de quatre cents hommes. Notre fahnlein [73] est en France depuis cinq ans, mais vous voyez là tout ce qu’il en
reste. Condé ne nous a pas payés, alors chacun est parti de son côté. J’étais
le prévôt et ceux-là viennent tous de mon village. Nous nous connaissons tous
et sommes tous égaux. Pas de doppelsoldner [74] chez nous, car nous sommes des vétérans. Pour vivre, nous avons d’abord
pillé les églises et les monastères, et emporté les vases sacrés et les
reliquaires pour les fondre, poursuivit-il, tandis que sa femme distribuait des
galettes de son avec un morceau de mouton dessus, mais on a tout perdu lors d’un
affrontement avec des catholiques. Nous ne sommes plus que quelques-uns, démunis
de tout, ajouta-t-il tristement en montrant ses gens, d’un vaste geste de la
main.
» Nous formons désormais une compagnie
franche. Comme nous ne sommes plus assez nombreux pour prendre châteaux ou
villages fortifiés, on s’est installés ici pour détrousser les voyageurs. Dès
que nous aurons suffisamment, nous rentrerons chez nous, sauf si on trouve un
engagement.
Poulain expliqua qu’ils allaient à Montauban, et
que s’ils rencontraient des chefs protestants, il parlerait d’eux.
Ils se quittèrent, presque bons amis.
18.
Ce fut le froid qui la réveilla. Serrée dans
sa couverture, Cassandre sortit de la grange et tenta vainement de rallumer le
feu : la neige tombée dans la nuit avait recouvert les cendres. L’eau qu’elle
avait tirée du puits était gelée. Elle cassa un morceau de glace qu’elle suça
avant de le rejeter.
Que faire ? Où aller ? N’était-il
pas préférable qu’elle reste là quelques jours ? Mais que mangerait-elle ?
Elle songea un instant au cadavre du cheval de Rouffignac, puis au pain qu’il
avait dans les sacoches. Peut-être pourrait-elle retrouver le pain…
Elle était brisée, affamée, transie. Elle eut
brusquement envie de se coucher et d’attendre la mort.
Puis elle pensa à son père. À ce qu’il lui
avait raconté de la Saint-Barthélemy. Malgré l’horreur, la peur, il n’avait
jamais été découragé, lui.
Arte et marte ! Par le talent et par le combat ! C’était la devise des Mornay. Elle
la suivrait et lui ferait honneur.
Les mains engourdies, elle se força à prendre
la selle et harnacha son cheval, puis elle roula sa couverture, l’attacha et
conduisit sa monture jusqu’au portail qu’elle ouvrit avec précaution. Elle n’aperçut
aucun loup et sauta en selle. Il ne neigeait pas mais le froid était vif. Elle
avançait lentement, car l’aube naissait à peine et le sol était gelé.
Elle arriva à l’endroit où se trouvaient les
restes du cheval et de Rouffignac. Une centaine de grands corbeaux charognards
s’envolèrent. De la monture, il ne restait que la tête et des morceaux de
jarrets ainsi que les sabots et la selle. Les sacoches avaient été déchiquetées.
De Rouffignac, il ne restait rien
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