La Guerre Des Amoureuses
nuit. Demain, nous aurons pris le château et vous pourrez les
délivrer. Vous leur rendrez leurs chevaux et leurs bagages, vous leur donnerez
quelques provisions, et vous leur indiquerez la direction de Montauban, puisqu’ils
sont incapables de la trouver seuls ! Qu’il ne leur arrive rien.
Qu’avait dit Olivier, se demanda Poulain, pour
que cet homme les traite ainsi ? Connaissait-il M. de Montaigne ?
On les conduisit cette fois avec ménagements
dans un cellier souterrain où on les détacha, mais on les laissa dans le noir
sans eau ni nourriture. Olivier et Nicolas parlèrent un moment dans l’obscurité.
Qui était ce monseigneur ? Ce François ? Cet Henri ? Et ce parti
de catholiques qui tolérait les protestants ? Et pourquoi ne les avait-on
pas pendus ?
Il Magnifichino leur répliqua qu’ils se posaient des questions inutiles :
— Nous sommes vivants, et nous serons
libres demain. Ce sera sans doute une autre rude journée, aussi dormons
maintenant !
Il avait raison et ils s’étendirent sur le sol
glacial. Malgré leur manteau qu’on leur avait laissé, ils grelottèrent toute la
nuit. Enfin, l’aube apparut par une minuscule lucarne. Tout était silencieux
au-dehors. Ils avaient faim et soif. La matinée s’écoula lentement. Poulain
essaya vainement de briser la porte et Il Magnifichino de grimper jusqu’à
la lucarne. Au fil des heures, ils virent avec inquiétude le soleil décliner. Les
avait-on oubliés ? Poulain songea que si ces gens avaient attaqué une
place forte, ils avaient peut-être été écrasés et personne ne viendrait les
délivrer. Ils allaient mourir ici, de faim, de froid et de soif.
Le désespoir les avait envahis quand retentit
un martèlement de sabots. C’était un peloton de cavaliers qui entrait dans la
cour. Il y eut des ordres donnés, des bruits de bottes et de ferraille, et
finalement un verrou fut tiré. Dangeau entra, souriant, la cuirasse de fer qui
lui barrait la poitrine était maintenant barrée d’une écharpe blanche.
— Vous êtes libres, messieurs ! Vos
chevaux vous attendent. Monseigneur vous en a offert un pour remplacer celui
qui a été abattu. Vos bagages y sont attachés, vos gourdes remplies, et j’ai
ajouté quelques provisions et un peu d’avoine. Je suis désolé pour mon retard, mais
notre affaire a été plus rude que prévue. L’important est que la place soit à
nous.
Ils sortirent, épuisés, chancelants et transis.
Dans la cour, Dangeau ajouta :
— Voici aussi un laissez-passer, vous en
aurez besoin à Montauban.
Olivier remarqua alors quelque chose d’étrange.
Il n’y avait plus de casaques à croix blanches et d’écharpes rouges. Tous les
gentilshommes portaient des écharpes blanches.
— Un laissez-passer ? De qui ?
— Du roi, bien sûr ! s’étonna
Dangeau.
— Du roi ?
— Du roi de Navarre ! Monseigneur
Henri de Bourbon !
— Vous… vous voulez dire… que monseigneur…
bégaya Olivier.
— Était le roi de Navarre ? Bien sûr !
Vous ne l’aviez pas reconnu ? En tout cas, vous l’avez convaincu. Vous
devez être un bon avocat !
Olivier se souvint soudain de ce que lui avait
dit Cassandre en parlant de Navarre : Ce roi, ce sera un jour le tien !
D’un seul coup, son cœur s’emplit d’allégresse. Ce gentilhomme si affable, si
bienveillant, était le roi de Navarre ! Il fut dès lors certain qu’il
aimerait ce roi-là !
— Monsieur de Dangeau, je vous remercie
de ne pas nous avoir pendus ! dit alors Poulain avec un sourire fatigué.
— Je l’aurais regretté, monsieur, ironisa
Dangeau en s’inclinant.
— Dites-moi encore : qui étaient ces
deux gentilshommes, François et Henri ? demanda Olivier.
— Vous l’ignorez aussi ? s’enquit
Dangeau avec une expression ahurie. François est monseigneur le comte de La
Rochefoucauld, colonel général de nos armées, et Henri est monseigneur de
Bourbon, prince de Condé.
Devant l’air effaré de ses anciens prisonniers,
il ajouta dans un rire :
— Moi-même, je suis Louis de Courcillon, seigneur
de Dangeau [69] . J’habite à Chartres et j’espère que, la guerre finie, vous viendrez
me voir !
— Nous le ferons, monsieur de Dangeau, nous
le ferons ! assura Poulain tout ému, en montant en selle.
— J’espère tout de même que la guerre ne
finira pas trop vite, précisa Dangeau, car comme le dit M. de Bourdeille [70] , qu’est-ce qu’un gentilhomme sans guerre, sinon un
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