La Guerre Des Amoureuses
nourrisson sans
nourrice ou une cheminée sans feu ?
Olivier resta silencieux, n’approuvant guère
les plaisirs des gentilshommes, tandis que Nicolas demandait :
— Une dernière chose, monsieur de Dangeau,
pourquoi portiez-vous des couleurs catholiques ?
— Nous autres, protestants, sommes
faibles et peu nombreux, alors nous suppléons nos insuffisances par la ruse, sourit
Dangeau. Les catholiques affichent avec stupidité leurs convictions, nous
profitons simplement de leur bêtise !
» Suivez ce chemin, monsieur Poulain, voici
une carte pour vous conduire à Angoulême. Que Dieu soit à vos côtés !
Bien qu’affamés, ils préférèrent faire un long
morceau de chemin afin de se trouver suffisamment loin de la troupe protestante
avant d’effectuer une halte. Ayant rejoint un grand chemin, ils gardèrent le
trot jusqu’à apercevoir une ferme brûlée. Le jour tombant vite, ils résolurent
de passer la nuit dans les ruines. Le cellier voûté étant encore solide, ils s’y
installèrent avec leurs montures. Olivier rassembla du bois, Venetianelli donna
du fourrage à leurs bêtes, tandis que Poulain installait le campement et
élevait un muret de pierres pour les protéger, en cas de mauvaise surprise.
Ce n’est qu’après avoir allumé le feu et s’être
partagé un jambon et deux flacons de vin qu’ils parlèrent de ce qu’ils avaient
vécu.
— Je comprends mieux pourquoi M. de Navarre
garde tant de partisans, même dans l’adversité, dit Olivier. Quelle différence,
dans son comportement, avec M. de Guise !
— Mais tous les protestants ne sont pas
comme lui, nuança Poulain. N’oublie pas que le prince de Condé voulait nous
pendre.
— Je crois n’avoir jamais senti de si
près la corde, plaisanta Il Magnifichino , en passant un doigt autour de
son col, comme pour desserrer une étreinte invisible.
Ils arrivèrent à Angoulême sans encombre et
prirent la route de Périgueux. S’ils avaient vu la misère et la famine en
Poitou, ils découvrirent à partir de là une détresse qu’ils n’imaginaient pas. Dans
des villages ravagés par les bandes armées, les paysans faisaient du pain avec
des glands, des racines, des fougères, et même de l’écorce de pin mêlée à de la
tuile broyée avec du son.
La peste était partout. Les loups dévoraient
les enfants et les cadavres. On leur parla même d’hommes malades qui creusaient
leur propre tombe avant de s’y coucher pour mourir, tant ils avaient peur qu’on
laisse leur corps à l’abandon et qu’il ne soit pas enseveli.
Jamais les paroles de cette triste chanson n’avaient
été aussi vraies :
Le Soldat ravage
tout,
Le Diable enfin emportera tout.
Ils croisèrent avec
appréhension une troupe de soldats en casaques bleues ornées de croix blanches.
Poulain leur dit qu’ils étaient des gentilshommes rejoignant l’armée de Mayenne
et on les laissa passer, après qu’il eut montré le sauf-conduit de M. de Mayneville.
Soulagés de ne pas avoir eu d’ennuis, ils s’arrêtèrent
au village suivant. Mais comme ils entraient dans une hôtellerie, n’ayant eu
aucune difficulté pour passer la porte fortifiée, ils furent soudain environnés
et assaillis de paysans brandissant fourches et faux. Désarmés et cruellement
frappés, ils furent garrottés de cordes et celui qui commandait la bande décida
de les noyer dans la rivière.
— Nous n’avons rien fait ! criait
Poulain en se débattant comme il le pouvait. Laissez-nous !
Alors qu’on les entraînait difficilement, car
Olivier donnait de violents coups de pied et Venetianelli des coups de tête, deux
bourgeois du bourg, en habit noir et chapeau sans passementerie ni bijoux, arrivèrent
en courant.
— Qu’ont fait ces hommes ? cria l’un
d’eux.
— Ils font partie de ceux qui ont attaqué
la ferme des Cussac.
— Faux ! démentit Olivier. On arrive
de Poitiers et on va à Montauban !
— Ce sont eux, monsieur Peyrat ! protesta
le chef des paysans. On les a vus parler aux soldats en casaques bleues ! Ceux
qui ont tout pillé là-haut, qui ont massacré les hommes et forcé les femmes. Ils
ont pris le pasteur, ils lui ont brûlé de la poudre dans les oreilles, lui ont
tailladé les jambes et ont versé du vinaigre et du sel sur ses chairs avant de
le pendre. On va leur faire pareil avant de les noyer !
En parlant ainsi, les larmes lui coulaient sur
les joues.
— Vous avez des passeports ? demanda
celui qu’on
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