La Guerre Des Amoureuses
veux lui répondre.
— Comment avez-vous reçu cette lettre ?
— C’était hier, monsieur, et mon père l’ignore.
Je vous saurai gré de ne pas lui en parler.
— Qui vous a remis cette lettre ?
— Monsieur de Rosny, monsieur. Mon père
ne l’aime pas, mais je l’apprécie. À l’automne déjà, il a transmis du courrier
pour moi quand il est allé à Paris. Cette fois-ci, il m’a rapporté une lettre.
— Qui est cet ami de Paris ? demanda-t-il.
Comment le connaissez-vous puisque vous vivez à Montauban ?
Cassandre hésita un instant avant de se
rappeler les paroles de son père au sujet de Montaigne : il n’y avait pas
beaucoup d’hommes plus honorables que lui dans le royaume.
— On m’a dit que monseigneur de Navarre y
avait fait allusion. Je suis allée à Paris à sa demande, au sujet de ces neuf
cent mille livres que j’ai ramenées pour notre cause. Cet homme, cet ami… C’est
grâce à lui que j’ai réussi à prendre cet argent au duc de Guise.
— Au duc de Guise ? s’étonna
Montaigne, en haussant les sourcils.
— C’est tout ce que je peux vous dire.
Le mystère qui entourait cette affaire avait
excité la curiosité de l’ancien maire de Bordeaux. Remettre cette lettre serait
un bon moyen d’en savoir plus.
— Je porterai votre lettre, mademoiselle,
dit-il.
3.
Mantoue, mi-mars 1586
Le lendemain du jour
des interrogatoires, le vice-podestat se rendit au palais pour en faire un
compte-rendu à Guillaume de Gonzague. Il lui avoua ne rien avoir obtenu de
concluant.
— Garder les Gelosi en prison, si l’on ne
peut rien retenir contre eux, ne m’attirera que des désagréments, remarqua le
marquis, après un long moment de réflexion. Plus aucune troupe de théâtre n’acceptera
de se rendre à Mantoue. Plus aucun artiste, même… Si vous n’avez rien contre
eux, libérez-les.
— Je pourrais les assigner à résidence
jusqu’à la fin de l’enquête, suggéra le vice-podestat.
— En effet, mais le résultat serait le
même. Dans le milieu des artistes, ma réputation serait ternie. Il vous semble
bien qu’Isabella soit la seule coupable ?
— Oui, monseigneur.
— Obtenez ses aveux et qu’elle soit punie,
décida Gonzague.
Le vice-podestat revint à la Torre comunale, légèrement contrarié. Cette affaire n’était pas claire. En chemin, il remit
le couteau à un fourbisseur qu’il connaissait pour qu’il démonte la lame et lui
dise si elle pouvait se replier entièrement, et surtout s’il y avait un
mécanisme caché. Il aurait préféré garder la troupe en prison, mais il
comprenait le point de vue de son maître.
Dans la salle des interrogatoires, tous ceux
qui étaient là la veille étaient déjà arrivés ainsi que le médecin – M. da
Monza – et un chirurgien.
Crema s’assit et décida d’interroger à nouveau
tous les prisonniers, sauf Isabella. Il n’obtint guère plus d’informations, sinon
que Gabriella Chiabrera n’avait pas d’homme dans sa vie et que quelques
comédiens lui faisaient la cour sans succès. Francesco reconnut même qu’il la
trouvait très séduisante et qu’Isabella avait un tempérament jaloux, mais il n’y
avait pas là de quoi fouetter un chat. Crema décida alors de faire appeler la
criminelle.
Il rappela d’abord à Isabella les charges qui
pesaient contre elle et lui demanda d’avouer, ce qu’elle refusa, jurant sur les
Évangiles n’avoir jamais voulu tuer son amie.
Le vice-podestat fit donc signe aux bourreaux,
en leur précisant toutefois :
— Ne la dénudez pas, et attachez-lui
seulement les bras.
Que ce soit un homme ou une femme, le tourment
de la corde était administré au prisonnier dénudé jusqu’à la taille, mais Crema
éprouvait suffisamment de doutes pour ne pas aller jusque-là. Il décida aussi
de ne pas appliquer le niveau le plus sévère de la torture, le toturam
capillorum, où le prisonnier était suspendu par les cheveux.
L’un des tourmenteurs s’approcha de la jeune
femme qui devina ce qui allait lui arriver. Elle ne put retenir un tremblement
nerveux mais ne cria pas. Le tourmenteur lui tira les bras en arrière et
attacha solidement ses poignets à la corde.
N’observant aucun signe indiquant qu’Isabella
allait parler, le vice-podestat ordonna :
— Allez-y !
Les bourreaux tirèrent la corde d’environ un
pied. Le corps d’Isabella parut se désarticuler, ses épaules se tordirent en
arrière et elle poussa un violent
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