La Guerre Des Amoureuses
château, tandis que les jardins et le village étaient
occupés par quatre régiments du Béarnais.
En entendant la bruyante suite de Navarre, Catherine
de Médicis qui se tenait dans un cabinet mitoyen, songeait qu’elle était allée
trop loin dans les concessions. Elle n’aurait jamais dû venir jusqu’ici. Le
Béarnais, maître du château et des environs, pouvait à tout moment se saisir d’elle
et la prendre en otage. Elle essaya de dissiper cette angoisse en se persuadant
qu’il était homme d’honneur, et qu’il n’agirait jamais comme un brigand de
grand chemin. Mais pouvait-elle avoir la même certitude envers ses capitaines ?
Elle soupira. Si au moins Navarre l’écoutait, s’il
acceptait de se convertir, alors tous les risques qu’elle avait pris, toutes
les fatigues qu’elle avait subies seraient justifiés. Sinon… Elle passa à
nouveau son plan en revue et, malgré les souffrances infligées par la goutte, un
frisson de satisfaction la parcourut. Elle avait tout prévu. Son
arrière-grand-père Laurent serait fière d’elle, se félicita-t-elle.
Debout devant un miroir, vêtue de cette longue
robe noire et de la coiffe qu’elle ne quittait jamais depuis la mort de son
mari, la reine mère tenta d’évacuer la douleur de la maladie et se composa un
visage serein avant de pénétrer, majestueusement, dans la grande salle où
Navarre et ses capitaines attendaient. Mme de Sauves, suffisamment
maquillée pour masquer son âge, la suivait, ainsi qu’un groupe de dames d’honneur.
Les ducs de Retz et de Nevers étaient déjà là, entourés de leurs gentilshommes.
Alors que les hommes de sa Cour avaient revêtu
leurs plus beaux habits, Catherine de Médicis découvrit avec stupéfaction que
son gendre, le prince de Condé, le vicomte de Turenne, M. de La
Rochefoucauld et les autres seigneurs calvinistes étaient ostensiblement
caparaçonnés en guerre, avec corselet, casque et épée de bataille. Ils
affichaient ainsi, de façon ostentatoire, leur défiance envers elle.
— Aviez-vous besoin de ces armures ?
s’enquit-elle avec rudesse, en s’adressant à la cantonade.
— C’est encore trop peu, madame, d’un
plastron et d’une cuirasse pour se couvrir contre ceux qui ont faussé les édits
du roi. Nos biens ayant été mis à l’encan, il ne nous reste plus que des armes
et nous les avons prises pour défendre nos têtes proscrites [77] ! s’exclama le prince de Condé.
Henri de Navarre, dont pourtant tout le monde
connaissait l’habituelle bonhomie, approuva ce discours en hochant simplement
la tête.
— On nous a aussi rapporté qu’une grosse
troupe de gens de guerre de M. de Mayenne a débandé son engagement et
court la campagne autour de Saint-Brice. Nous avons craint d’être attaqués !
fit-il pour nuancer le propos de son cousin.
Catherine de Médicis avait tant de facilité à
dissimuler qu’elle sourit chaleureusement à son gendre. Bras ouverts, elle s’avança
et l’embrassa avec une tendresse exagérée, tant elle était libérale en caresses
qui ne lui coûtaient rien. Lui prenant ensuite le bras, elle lui dit
affectueusement :
— Allons dans la salle que M. de Fors
a préparée, et faisons une bonne paix !
— Nous irons à tour de rôle discuter de
vos propositions, madame, intervint Navarre plus fraîchement. Pendant que je
serai avec vous, mes cousins Condé ou Turenne garderont la porte, et quand le
prince s’y rendra, je ferai la surveillance avec monsieur le vicomte de Turenne.
La reine blêmit à cette nouvelle injure, mais
ravala sa rage. Feignant de n’avoir rien entendu, elle conduisit son gendre
vers l’autre extrémité de la grande salle où une chambre d’apparat avait été
préparée. Les ducs la suivirent, ainsi que les gentilshommes de la suite du
Béarnais.
Navarre et sa belle-mère s’installèrent sur
des fauteuils et les autres sur des chaises, mais la porte resta ouverte et
Condé, farouche, la main sur son épée, s’installa devant.
— Eh bien, mon fils, ferons-nous quelque
chose de bon ? demanda en souriant la reine.
— C’est ce que je désire, madame, repartit
le roi de Navarre avec la même bonhomie.
Jarnac était en état
de siège, mais le laissez-passer signé par Henri de Bourbon ouvrait toutes les
portes. S’étant renseignés au corps de garde, ils apprirent que Philippe de
Mornay était au château et avait prévenu les officiers qu’il attendait la
visite du prévôt
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