La Guerre Des Amoureuses
d’autre ?
— Il faut qu’elle s’évade !
Francesco Andreini, qui avait entendu, s’approcha
de celui qui jouait Dottore, les yeux hagards.
— Quoi ? Mais tu as vu où elle est
emprisonnée ? Ils vont la torturer, dit-il dans un sanglot. Et même si on
parvenait à la faire sortir, comment quitterait-elle la ville entourée par la
lagune ? Avec ces murailles tout autour ?
— J’ai un plan, annonça fermement Ludovic.
J’y ai réfléchi toute la nuit. J’ai des amis ici, laissez-moi faire.
— Explique-nous ! implora Francesco.
— Allez à l’écurie du palais récupérer
les chariots et quittez la ville comme convenu. Partez le plus vite possible, rien
ne dit que le podestat ou le marquis ne vont pas changer d’avis. Sortez par le
pont aux Moulins puis contournez les lagunes jusqu’à la lagune supérieure. (Il
se baissa et dessina rapidement un plan sur le sol avec un morceau de bois.) Il
y a une forêt ici. Je vous y retrouverai.
— Il serait plus rapide de prendre l’autre
pont qui traverse la lagune supérieure, objecta Flavio.
— Non, il y a une porte gardée à l’extrémité,
vous pourriez y être arrêtés. Mieux vaut que l’on croie que vous êtes partis
dans la direction opposée.
— Pourquoi ne pas attendre dans une
auberge, vers San Giorgio ? demanda un comédien.
— Imagine que le podestat change d’avis !
Vous êtes libre, profitez-en ! Évitez les troupes de soldats, et surtout
ne faites pas de feu.
— Comment comptes-tu la faire évader ?
Tu n’as même pas d’argent ! cria Francesco.
— Fais-moi confiance. J’ai joué ici avec
les Desiosi. J’y ai des amis, c’est mieux que de l’argent, je sais qu’ils m’aideront.
Flavio secoua négativement la tête en
grimaçant. Il ne croyait guère que Ludovic Armani puisse sauver Isabella. C’était
cependant la seule solution et il voulait partir le plus vite possible.
— Francesco, faisons ce qu’il propose, décida-t-il.
— Il faut qu’on croie que je suis avec
vous, dit Ludovic. Je vais me changer aux chariots, puis je disparaîtrai avant
que vous n’arriviez au corps de garde du pont. Nous nous retrouverons demain, dans
le bois, j’arriverai en barque par la lagune. Vous n’aurez qu’à allumer un
fanal.
Moins d’une heure
plus tard, Ludovic Armani, vêtu d’une chape à capuchon usée jusqu’à la trame, d’un
surcot sombre, et de grègues de toile, se dirigeait vers la rotonde de l’église
de San Lorenzo. Dans le quartier juif, il s’arrêta devant l’échoppe d’un
changeur à la façade décorée de colonnettes en terracotta. L’homme parut
surpris de le voir et fit signe à sa femme de continuer dans l’ouvroir la pesée
de pièces qu’il avait commencée. Il se dirigea vers la porte située à côté de l’étal
et fit entrer le visiteur après avoir jeté un rapide coup d’œil dans la rue
pour vérifier qu’il n’avait pas été suivi.
— Je ne vous attendais pas, murmura-t-il,
en désignant l’escalier de bois qui montait à l’étage.
Il n’y avait qu’une salle en haut, avec un lit
à piliers aux rideaux verts, deux coffres, une table, des chaises tapissées, et
sur le mur un portrait de Marguerite de Montferrat, la mère du marquis. Le
changeur proposa au comédien de s’asseoir sur le lit et prit un escabeau.
— Vous ne deviez pas nous faire évader ?
demanda sèchement Ludovic.
— Je n’ai été informé de la situation qu’hier
soir. Je vous aurais fait évader cette nuit comme convenu, déclara le changeur,
avec un sourire édenté.
C’était un petit homme d’une soixantaine d’années
au nez en bec d’aigle, complètement chauve, mais avec des sourcils noirs et
touffus.
— Comment se fait-il que vous soyez là d’ailleurs ?
— Nous venons d’être libérés. Mes
compagnons ont déjà quitté la ville. Il n’y a plus qu’une femme dans la Torre comunale.
— Celle qui a
tué ?
— Oui, il faut la faire évader ce soir. Je
crains qu’elle ne soit torturée.
— Tout est prêt, je vous l’ai dit ! Vous
partirez cette nuit avec elle.
— Je vous rappelle qu’il me faut un
millier de florins.
— C’était convenu, je les ai ici.
Dottore soupira. Il n’était pas certain de
pouvoir faire confiance à cet homme, mais il n’avait pas d’autre solution.
— J’ai prévenu un de mes amis des Gelosi.
Si vous me trahissez, Catherine de Médicis le saura.
— Je ne vous trahirai pas, j’ai
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