La Guerre Des Amoureuses
toujours
été fidèle aux Médicis. Vous m’avez payé quatre mille florins et je respecte
toujours ma parole.
— Soit ! Que puis-je faire pour vous
aider ?
— Rien, vous me gêneriez. Un de mes
hommes s’est déjà entendu avec le concierge de la Torre. Ce soir, il le
garrottera, avec son accord.
— Le concierge accepte ça ? Il sera
pendu !
— Non. Il avait prévu de raconter que des
complices des Gelosi s’étaient introduits par une fenêtre de la galerie à
colonnades du Palais du Podestat et l’avaient surpris. Pour deux mille florins,
il était prêt à recevoir quelques coups de fouet ou à passer huit jours dans la gabbia [20] . Mais maintenant que vos amis sont dehors, ce sera encore plus facile.
Puisque ce sont des comédiens, il dira que l’un d’eux se sera fait passer pour
le vice-podestat et qu’il aura ouvert sans méfiance. Mon homme conduira la
prisonnière au couvent San Francesco qui est accolé au rempart. Vous la
retrouverez là. Il y a un passage le long du rio [21] qui permet de sortir vers la lagune en passant sous la muraille. De l’autre
côté, une barque attendra. Le pêcheur de la barque vous amènera où vous voulez.
— Quand irai-je à San Francesco ?
— Restez ici le reste de la journée. Je
vous conduirai au couvent cette nuit au dernier moment. Vous n’avez qu’à vous
reposer, dit-il en désignant le lit. La nuit sera longue.
— Il faut que le pêcheur nous amène de l’autre
côté de la lagune supérieure.
— Ne vous inquiétez pas.
Le comédien s’allongea. Finalement, tout se
passait bien, songea-t-il en fermant les yeux. Il était au bout de l’aventure. Il
laissa son esprit vagabonder, et tout ce qui s’était passé depuis un an lui
revint peu à peu.
À Paris, la reine mère lui avait donné des
adresses d’hommes fidèles aux Médicis, des hommes de main, des espions, des
marchands. Il y en avait dans toutes les grandes cités d’Italie. Elle lui avait
aussi remis une lettre de change de cinq mille florins sur la banque Carnesecchi,
proche de sa famille, ainsi qu’un philtre de René Bianchi, son ancien parfumeur
qui lui fabriquait des poisons. Arrivé à Milan où jouaient les Gelosi, il avait
demandé à Flaminio Scala s’il n’avait pas besoin d’un comédien – avec sa mère, il
avait vraiment fait partie de la troupe des Desiosi quand il était jeune – mais
la troupe des Gelosi était au complet.
Ludovic s’était alors débrouillé pour dîner
avec l’un de ses membres dans une taverne, c’était celui qui jouait le Dottore.
Il était parvenu à vider dans son verre le philtre de René Bianchi et le pauvre
homme était mort en trois jours. C’est Flaminio Scala, lui-même, qui était venu
le chercher à son auberge pour lui demander d’entrer dans sa troupe.
Une fois membre des Gelosi, Ludovic s’était
attelé à la deuxième partie de son plan : faire accuser Isabella d’un
crime afin qu’elle soit emprisonnée. La solution la plus simple était qu’elle
assassine un membre de la troupe. Lors des répétitions de la pièce, Gabriella Chiabrera
s’était imposée comme victime évidente puisque Isabella la poignardait. Il
avait examiné le couteau truqué dans le coffre où on le rangeait et découvert
qu’il était facile de modifier le mécanisme pour que la lame ne se replie pas à
l’intérieur du manche. Il ne lui restait donc qu’à organiser la dernière partie
de son entreprise : faire évader la comédienne quand elle serait en prison,
et aider la troupe à fuir l’Italie pour la France.
Il en étudiait les possibilités quand les
Gelosi étaient brusquement partis pour Mantoue. Heureusement, dans cette ville
aussi la reine avait un homme de confiance. À peine arrivé, il était venu
trouver le changeur et lui avait donné la lettre de change. Quatre mille
florins seraient pour lui s’il parvenait à faire évader rapidement les Gelosi
au cas où ils seraient emprisonnés.
Faire libérer dix personnes ne serait pas
chose facile, avait objecté le changeur. Finalement, ils s’étaient mis d’accord
sur quatre prisonniers : Isabella, son mari, Flavio et lui-même. Les autres
pouvaient bien rester en prison et tant pis s’ils étaient pendus. Le changeur
lui avait promis qu’il les ferait fuir le soir même de leur arrestation, avec l’aide
du concierge de la prison. C’était terriblement risqué de confier sa vie à ces
inconnus, mais Ludovic n’avait pas d’autre choix que
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