La Guerre Des Amoureuses
hurlement. Ses pieds touchaient pourtant
encore légèrement le sol.
— Je vous le répète, madame, dites la
vérité, et je ferai montre de miséricorde. Je vous en prie !
— Mon Dieu, aide-moi ! souffla-t-elle
en secouant faiblement la tête.
Elle persévérait donc dans son opinion ! ragea
le vice-podestat. Pourtant jusqu’à présent, aucune femme n’avait résisté à
cette douleur.
— Montez-la plus haut, décida-t-il tout
en sachant que parfois les deux épaules se déboîtaient et que les prisonniers
restaient infirmes jusqu’à leur exécution.
Isabella hurla encore plus fort alors qu’elle
était soulevée du sol. Puis elle se tut et, haletante, elle balbutia une prière.
Le notaire jeta au vice-podestat un regard à
la fois réprobateur et suppliant.
— Jusqu’à moitié-corde, ordonna
Beltramino Crema, impassible.
En voyant Isabella perdre connaissance, le
notaire implora :
— Je vous en prie, Excellence !
Le vice-podestat leva une main à l’attention d’un
des tourmenteurs qui descendit doucement la comédienne jusqu’au sol. L’autre la
détacha et l’allongea sur un banc tandis que le médecin et le chirurgien
venaient l’examiner. Le médecin présenta un flacon de sels sous son nez, elle
eut un spasme nerveux et elle ouvrit légèrement les yeux.
— Je vous déconseille de poursuivre, Excellence,
dit l’homme de l’art d’une voix émue.
— Y a-t-il dans la prison une pièce vide
avec une cheminée et un lit ? demanda Crema au concierge, après un soupir.
— Oui, Excellence.
— Faites un feu et installez-y Mme Andreini.
Monsieur da Monza, ajouta-t-il à l’attention du médecin, vous la soignerez et
veillerez à ce qu’elle ne manque de rien. Monsieur Sabbadini, poursuivit-il en
s’adressant au notaire, vous avez bien noté que les trois niveaux du tourment
ont été administrés à Mme Andreini. Qu’elle a invoqué le Seigneur avec
courage et n’a rien reconnu des accusations portées contre elle.
Le notaire hocha la tête.
À une époque où beaucoup pensaient encore que
Dieu intervenait dans la justice humaine, il était important que les juges
sachent que la comédienne avait résisté à ce niveau de torture.
Seul le Seigneur pouvait l’avoir aidée à
surmonter cette terrible épreuve, songeait sincèrement le vice-podestat.
— Je commence à douter de sa culpabilité,
déclara-t-il après qu’on l’eut emmené. Je me demande si ce crime ne serait pas
tout simplement un accident provoqué par un couteau factice qui aurait mal
fonctionné.
Le notaire approuva à nouveau.
Beltramino Crema demanda ensuite au concierge
de les conduire dans la salle où étaient enfermés les prisonniers. Ils s’y
rendirent, accompagnés et éclairés par deux porte-clefs tenant des flambeaux de
suifs.
La salle, glaciale, n’avait qu’une minuscule
meurtrière et puait l’urine et les excréments. Les Gelosi étaient assis ou
couchés sur la paille souillée qui, malgré tout, les isolait du froid des
dalles de pierre.
— Mgr de Gonzague a décidé que votre
emprisonnement n’était plus nécessaire, annonça le vice-podestat. Maître
Giacomo Sabbadini, notaire auprès du Sénat, va vous faire signer vos
dépositions et vous serez libérés. Il vous remettra un passeport pour sortir de
la ville. Je lui ai donné les clefs de votre coffre qu’il va vous rendre. Vos
deux chariots, avec vos affaires, sont à l’écurie du palais, sous bonne garde. Vous
devrez avoir quitté Mantoue avant la nuit.
— Et Isabella, monseigneur ? demanda
aussitôt Francesco qui, comme tous les autres, s’était levé.
— Votre femme a tué quelqu’un ! D’autres
interrogatoires seront nécessaires avant que son sort ne soit décidé par le
Sénat. Si elle est reconnue coupable, elle sera exécutée devant le palais. Mais
peut-être, compte tenu des circonstances du crime, bénéficiera-t-elle d’une
grâce de monseigneur le Marquis.
— Mais… mon épouse est innocente, Excellence !
cria Francesco qui se jeta aux pieds du vice-podestat.
— Maître Giletti, dit celui-ci en
détournant le regard, je vous laisse régler les formalités.
Francesco Andreini, Flaminio Scala, et les
autres membres des Gelosi sortirent de la Torre en début d’après-midi.
Francesco Andreini sanglotait toujours. Une
fois dans la rue, Ludovic s’approcha de Flaminio Scala pour lui demander :
— On ne va pas laisser Isabella ici ?
— Que faire
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