La Guerre Des Amoureuses
de faire confiance.
Emprisonné, il avait pourtant attendu en vain
l’évasion toute la nuit. Il craignait la torture, non seulement pour lui mais
pour Isabella, car si elle était défigurée ou estropiée, Catherine de Médicis
serait furieuse contre lui. Par chance, ou parce qu’il avait inventé la
jalousie d’Isabella lors de son interrogatoire – ayant deviné que c’était ce
que le vice-podestat voulait entendre –, ils avaient été libérés alors qu’il n’espérait
plus.
Ludovic était né en 1561. Sa mère, Vincenza
Armani, était de haute naissance mais avait dû quitter Venise après avoir été
déshonorée et elle avait trouvé une nouvelle famille au sein des Desiosi. C’est
ce qu’elle lui avait raconté, deux ans plus tôt, alors qu’elle agonisait, atteinte
d’une fièvre synoque putride.
Elle était malade depuis des semaines et ils
avaient dû quitter la troupe des Desiosi. Sans argent, elle était revenue à
Venise demander de l’aide à sa famille. Elle s’était présentée à leur hôtel et
avait laissé une lettre à son frère, ses parents étant morts. Son frère, le
seigneur Armani, l’avait reçue sans plaisir, mais sans lui faire de reproche. Il
lui avait seulement annoncé que pour tout le monde elle était morte, qu’elle ne
devait plus venir à son hôtel, mais qu’il lui paierait une pension de dix
ducats par mois.
Le ducat de Venise valait à peu près six
livres tournois, c’était suffisant pour bien vivre. Il lui avait aussi remis
quelques lettres arrivées pour elle qui n’avaient jamais été ouvertes, certaines
ayant près de vingt ans.
C’est sur son lit de mort qu’elle avait confié
à Ludovic le secret de sa naissance, le nom de son père, et les lettres qu’il
avait envoyées. Ignorant l’adresse de sa maîtresse, il les avait fait parvenir
chez ses parents.
Son père était noble et s’appelait Claude
Gouffier. Il avait connu sa mère lors d’un séjour des Desiosi en France. De
retour en Italie, elle avait découvert sa grossesse et elle lui avait écrit
pour la lui annoncer. Dans une première lettre, Claude Gouffier lui demandait
pardon et lui assurait qu’il s’occuperait de l’enfant sitôt qu’il aurait l’adresse
de son notaire. Dans une seconde lettre, quelques mois plus tard, il lui
annonçait son prochain mariage avec Antoinette de La Tour-Landry, dame d’honneur
de Catherine de Médicis. Dans la troisième, plusieurs années après, il s’étonnait
de n’avoir aucune nouvelle et lui écrivait qu’il avait pris des dispositions
pour laisser à son fils une terre fieffée en France. Pour qu’elle n’entre pas
dans sa succession, il l’avait faussement cédée à un marchand de ses amis au
cas où il viendrait à disparaître et avait confié à son cousin, prieur de l’abbaye
de Notre-Dame de Châtres, près de Cognac, des actes prouvant que cette terre
devait aller à son fils Ludovic.
Ludovic avait veillé sa mère jusqu’à sa mort
avant de gagner la France. Il avait alors découvert avec découragement que l’abbaye
de Notre-Dame de Châtres, située à côté du fief que son père voulait lui donner,
avait été pillée et brûlée bien des années auparavant par une troupe de
huguenots. Il ne restait que l’église, complètement ravagée, et quelques
bâtiments conventuels en ruine. Tous les moines avaient été pendus. Accablé, Ludovic
était allé à Paris où il avait appris que son père était mort depuis longtemps.
Il n’avait donc plus aucun moyen de faire valoir ses droits. Sans ressources, il
avait repris son métier de comédien et obtenu assez vite un certain succès. Il
avait presque oublié son père quand, un soir, on lui avait dit que plusieurs
dames de la Cour étaient dans la salle de l’hôtel de Bourbon [22] où il jouait. L’une d’elles était Mme de La Tour-Landry, la
dernière épouse de son père !
Après beaucoup d’hésitations, il s’était
présenté chez elle et lui avait dit qui il était. D’abord, elle ne l’avait pas
cru, mais il l’avait convaincue en lui montrant les lettres de son père. Mme de La
Tour-Landry avait reconnu l’écriture de son mari et avait accepté de l’aider.
Hélas ! pour la terre fieffée que son
père lui avait laissée, il n’y avait rien à faire, l’héritage ayant été
distribué. Pour le consoler et l’aider, elle lui avait donné un peu d’argent et
avait incité ses amis à venir le voir jouer.
C’était elle qui
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