La Guerre Des Amoureuses
les égouts, souffla le changeur
à Ludovic. Une dérivation du rio pour entraîner les excréments du
couvent vers la lagune passe sous le rempart. Vous devrez marcher dans l’eau. Je
vous laisse la lanterne, car je ne vous accompagne pas. Vous l’éteindrez avant
de sortir de l’autre côté. Mon ami va vous ouvrir la grille sous l’enceinte. On
vous attend sur la grève de la lagune, mais ne faites aucun bruit. Il peut y
avoir des gardes dans la tour.
Ludovic le remercia et ils descendirent une
vingtaine de marches. En bas s’étendait une sorte de palier jusqu’à une lourde
grille forgée. Le moine l’ouvrit avec une autre clef.
— Descendez, dit-il. Faites quatre ou
cinq toises dans l’eau en baissant la tête et vous déboucherez au bord de la
lagune.
Ludovic prit la main d’Isabella et ils s’engagèrent
dans l’eau glacée. Heureusement, elle ne leur montait qu’au mollet.
Brusquement, ils sentirent l’air extérieur, Ludovic
éteignit la lanterne et attendit. Au bout d’un moment, une ombre s’approcha.
— Venez ! souffla-t-elle.
Ils longèrent une grève qui courait le long de
l’enceinte. L’homme les aida à monter dans la barque, puis se mit à ramer en
silence.
— Vous voulez aller à quel endroit de la
lagune supérieure ?
— Au bois qui se trouve à l’extrémité. Il
y aura un signal.
La nage se poursuivit durant une grosse heure
à la faible lueur d’un quart de lune, puis la brume s’épaissit.
— Je dois m’arrêter, fit le nageur, il
faut attendre l’aube, sinon on va se perdre.
— Nous sommes suffisamment loin des
remparts ?
— Oui.
Il rama encore un peu jusqu’à une grève où ils
attendirent dans la barque. Isabella tremblait de froid dans son manteau. La
brume était de plus en plus épaisse et ils étaient trempés. Enfin, le ciel s’éclaircit
et le nageur reprit sa rame. Au bout d’un moment ils distinguèrent des bois, puis
une lueur. C’était une lanterne !
Les Gelosi les attendaient.
Ils débarquèrent et Francesco serra longuement
sa femme pendant que Flavio accolait Dottore.
— Tu es désormais un frère pour moi, Ludovic !
Béni soit le jour où tu nous as rejoints.
— Nous allons rentrer à Milan, décida
Flavio. Et ensuite, je découvrirai ce qui s’est passé. J’ai bien réfléchi, quelqu’un
a forcément changé le couteau. Quand j’aurai trouvé celui qui l’a fait, je le
découperai en lanières. Vivant !
Les autres opinèrent en grondant.
— Ce n’est pas une bonne idée, mon frère,
dit Ludovic, en le prenant par l’épaule pour cacher sa peur. Nous n’avons pas
de temps à perdre. Gonzague ne va pas abandonner, il nous fera facilement
arrêter à Milan, comme dans toute l’Italie.
— Que faire alors ?
— Gagnons la France, allons à Paris. Là-bas,
nous ne risquerons rien et j’y ai des amis. Nous jouerons la comédie chez les
plus grands seigneurs et à la Cour.
4.
La guerre qui régnait en France se résumait
assez bien par cette phrase d’un pamphlet :
Henri veut, par Henri, déshériter Henri !
Henri de Guise, le
Balafré, chef de la Ligue, maître de Paris et de la plupart des grandes villes
du royaume, contraignait depuis l’été Henri III à agir contre son
beau-frère, Henri de Navarre.
La Ligue était une coalition hétéroclite d’unions
bourgeoises – à Paris la Sainte Union – et de grands féodaux proches des
princes lorrains. Rien ne les rapprochait, sinon la défense de la religion
catholique et le refus d’un roi hérétique. Henri de Guise, le Balafré, en était
le chef incontesté. Appuyée ouvertement par l’Espagne et le pape, la Ligue ne
faisait cependant pas l’unanimité en France et ceux qui s’y opposaient – qu’on
appelait les Politiques – résumaient ainsi les affaires du royaume :
Les ligueurs
demandent tout,
Le roi leur accorde tout,
Le guisard lui vole tout,
Le pauvre peuple endure tout,
Les gens d’armes ravagent tout,
Les favoris demandent tout,
La reine mère conduit tout,
Le pape leur pardonne tout,
Le diable à la fin aura tout !
Par le traité de Nemours,
les ligueurs avaient obtenu du roi l’interdiction en France de la religion
protestante et l’abandon des édits de tolérance [23] . À
la fin du mois de septembre 1585, Henri de Guise avait fait publier la bulle d’excommunication
papale contre le roi de Navarre et le prince de Condé. Navarre y était déclaré
antéchrist et hérétique. En octobre, le
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