La Guerre Des Amoureuses
de plaisir.
— Je pourrais cependant être indulgente…,
souffla-t-elle après s’être repue de sa terreur.
— Madame, je vous en supplie ! Je
ferai ce que vous me demanderez…
— Vous allez m’expliquer comment vous pratiquez
votre magie… Je suis curieuse…
— Mais il n’y a pas de magie, madame, je
vous jure…
— Vous vous obstinez, mon ami… Allez donc
prévenir votre femme et quittez mon hôtel ! menaça-t-elle.
— Non ! glapit-il… Je vais tout vous
dire.
— Enfin ! sourit-elle avec malignité.
Le concierge releva la tête, affolé, éperdu. Il
n’était ni mage, ni astrologue, ni envoûteur. Sa jeune femme, c’étaient ses
pécunes qui l’avaient ensorcelée, la pauvre vendant auparavant ses charmes dans
la rue Gratte-Cul. Il n’avait inventé cette histoire de magie que pour cacher l’origine
de la puterelle et celle de sa mère qui exerçait le même métier en se faisant
passer pour une bourgeoise.
En revanche, comme tous les Parisiens, il
avait souvent entendu parler de sorts et de magie. Cherchant désespérément à
sortir du piège dans lequel il s’était placé en racontant des sottises, il
inventa après avoir dégluti :
— Souhaitez-vous savoir comment je fais
un envoûtement pour être aimé, madame ?
— Pourquoi pas…
— Je fais une statuette de cire dans
laquelle j’enfonce, à l’endroit du cœur, une épingle imprégnée par un philtre.
— Si je souhaitais être aimée d’un ennemi,
ou d’un être à qui je serais indifférente, ce charme opérerait-il ?
— Sans doute, madame.
Elle resta silencieuse, hésitant à se découvrir,
puis elle se dit que si ce vieux serviteur parlait, elle nierait, et ce serait
sa parole contre la sienne.
— Vous ferez une telle statue, maître
Miraille, ainsi que le philtre.
L’ancien concierge resta la bouche ouverte, désemparé.
Il ne connaissait rien à la magie… Il lui vint à l’idée qu’il fallait qu’il
propose quelque chose d’irréalisable.
— Il m’est facile de faire la statuette, madame,
mais pas le philtre. Pour un envoûtement, il me faut quelques éléments ayant
appartenu à celui dont on veut être aimé.
— Quoi donc ?
— Des cheveux, des rognures d’ongles, ou
des vêtements intimes, madame.
Une autre idée lui vint, car c’était un homme
vif et plein d’esprit.
— Mais pour un charme d’amour, il faut un
objet imprégné d’amour, qui soit cher à celui que l’on veut envoûter…
— Quel genre d’objet ?
— Euh… Par exemple une lettre d’amour, madame.
— Mais comment voulez-vous que je me
procure cela ? s’irrita-t-elle.
— Je ne sais pas, madame… je peux faire
la statuette, mais sans une lettre d’amour, je ne pourrais faire le philtre, et
le charme n’agira pas.
Elle scruta son visage, tentant de voir s’il
se moquait d’elle.
— Nous en reparlerons, monsieur Miraille,
déclara-t-elle en le congédiant.
Quelques jours plus tard, le marquis de
Mayneville revint de Champagne. Il avait rencontré le duc qui, malgré ses
réticences, avait accepté la suggestion de sa sœur.
Mme de Montpensier l’ignorait mais, en
vérité, son frère Guise songeait de longue date à faire disparaître Henri de
Navarre. Le duc, qui portait sur le Béarnais le même jugement qu’elle, tant il
le connaissait, ayant été son ami dans sa jeunesse, était très endetté et avait
besoin que la guerre se termine au plus vite. Il avait compris depuis longtemps
que Navarre était son principal adversaire, et il avait même déjà choisi l’homme
qui le ferait disparaître. Il ne manquait que l’occasion, or sa sœur venait de
la lui fournir !
Comme il avait déjà bien réfléchi à cet
assassinat, il mit juste en garde Mayneville sur ses conséquences. Si le crime
avait lieu à la cour de la reine, l’enquête serait conduite par le prévôt de l’hôtel,
M. Rapin. Or celui-ci était aussi lieutenant criminel. Qu’il parvienne à
remonter jusqu’à eux, ou que M. de Richelieu se mêle de l’affaire, ils
pourraient être mis en accusation devant le parlement qui leur était hostile. Une
telle implication de leur maison pourrait alors leur faire tout perdre.
Il avait donc suggéré qu’un homme à eux
remplace Rapin. Mayneville lui avait proposé quelqu’un qui pourrait agréer au
grand prévôt de France. Un homme qui faisait secrètement partie de la Sainte
Union et qui était déjà lieutenant du prévôt
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