La Guerre Des Amoureuses
convertirait
pas ? Envisageait-elle aussi de l’assassiner ? Il se souvint de son
serment de fidélité lorsqu’il avait été reçu en l’état de lieutenant de la
prévôté. Il avait juré que, s’il se préparait quelque chose contre l’État, il
était tenu, sous peine de crime de lèse-majesté, d’en avertir le roi. C’est ce
qu’il avait fait quand la Sainte Union avait voulu prendre le pouvoir à Paris. Il
ne se déroberait pas maintenant.
— J’accepte, monsieur, dit-il d’une voix
égale pour cacher son émotion, et sa peur.
— Mme de Montpensier proposera
donc votre nom à la reine. Ce sera la condition des Guise à cette trêve. Vous n’êtes
pas bien riche, je vois…
Son regard balaya la chambre. Il n’y avait
aucune tapisserie, seulement un buffet que Poulain avait acheté avec la picorée
qu’il avait faite l’année précédente en travaillant pour la Sainte Union. Le
roi lui avait aussi fait parvenir cent écus avec lesquels il avait acheté des
vêtements pour sa femme et pour lui. Le lit à piliers, qui était le meuble
principal, ne portait que des rideaux de grosse toile.
— Si ce voyage a lieu, je vous ferai
porter deux cents écus pour vous équiper. Vous aurez besoin d’un sergent, de
domestiques, d’un chariot pour vos bagages et de montures.
Deux cents écus ! C’était bien peu !
se dit Poulain. À peine six cents livres. Un petit gentilhomme avait besoin de
deux mille livres, au moins, pour tenir son rang à la Cour. Il ne pouvait que
souhaiter que ce voyage ne dure pas plus de trois mois !
Mayneville prit congé, laissant Nicolas
réfléchir. Devait-il prévenir M. de Richelieu ou le marquis d’O ?
Il jugea que O étant désormais au plus proche du roi, il serait de meilleur
conseil. Cependant le marquis devait être au Louvre à cette heure. Pouvait-il
lui écrire chez lui ? C’était fort risqué, rien ne prouvait que Mayneville
ne le faisait pas surveiller, ou que sa lettre ne tomberait pas en de mauvaises
mains. En revanche, il pouvait facilement joindre le grand prévôt. Richelieu
lui avait donné un code : toute lettre cachetée à l’attention de son valet
de chambre, M. Pasquier, lui serait remise immédiatement si elle portait
dessus une double croix dans le cachet de cire.
Il écrivit donc une courte missive, demandant
au grand prévôt que le marquis d’O le reçoive. Il la signa de son nom, prévint
sa femme et sortit. Il descendit la rue Saint-Martin puis tourna vers le
cimetière des Innocents qu’il traversa, s’arrêtant sous l’arcade de Nicolas
Flamel pour vérifier qu’on ne le suivait pas. Ensuite, il serpenta dans les
allées des Grandes Halles avant d’emprunter échelles, escaliers et passages
couverts ou à claire-voie dans le lacis de ruelles aux maisons à pans de bois
qui se serraient dans ce quartier, se glissant parfois entre deux bâtisses et s’arrêtant
souvent, tout en restant dans l’ombre, pour regarder derrière lui.
Il déboucha finalement en bas de la rue du
Bouloi.
À l’angle de cette rue et de la rue des
Petits-Champs [46] se dressait l’hôtel du grand prévôt de France, reconnaissable aux
trois chevrons de gueules sur champ d’azur et aux deux épées nues symbolisant
la prévôté qui ornaient le porche. Il entra, fit appeler Pasquier et lui remit
sa lettre.
Le surlendemain dimanche, jour de la Fête-Dieu,
il reçut en soirée la visite d’un page lui annonçant qu’on l’attendait chez le
marquis d’O.
François d’O occupait une solide maison en
pierre à deux étages de la rue de la Plâtrière, à l’enseigne de l’image du Cheval bardé. Les fenêtres du rez-de-chaussée étaient protégées d’épaisses
grilles, celles des deux étages de lourds volets intérieurs. Le page se fit
connaître et on les fit entrer. Dimitri, le garde du corps sarmate du marquis, l’attendait,
en robe et toujours avec son sabre. Sans même un sourire, il le fit passer
devant lui et le conduisit dans la chambre du premier étage qui donnait sur un
jardin. O et Richelieu s’y trouvaient déjà.
Le marquis était en costume de Cour violet, la
chaîne de l’ordre du Saint-Esprit pendue à son cou. Richelieu était en noir, sombre
et triste comme la mort.
— Monsieur Poulain, demanda O, qu’avez-vous
de si important à me dire ?
Nicolas raconta en détail la visite de
Mayneville et ce qu’il lui avait proposé. Tout en parlant, il observait les
visages des deux hommes et les vit
Weitere Kostenlose Bücher