La Guerre Des Amoureuses
de Grève. Quelques jours plus tard, Charles IX était mort dans d’horribles
souffrances et son frère Henri, alors en Pologne, était devenu roi sous le nom
d’Henri III [45] .
La duchesse de Montpensier savait que l’histoire
ne s’était pas terminée par la mort de Coconnat et de La Mole. Le soir de l’exécution,
deux dames masquées s’étaient présentées chez l’exécuteur de la haute justice
et avaient enlevé les têtes des deux hommes, leurs amants, pour les faire
embaumer et les conserver. L’une aurait été Marguerite de Navarre, la femme du
Béarnais, la propre sœur du roi, et l’autre Henriette de Clèves, l’épouse du
duc de Nevers.
Ces deux dames étaient-elles celles qui
avaient été envoûtées par la magie de Ruggieri ? Catherine de Lorraine l’avait
toujours pensé. L’envoûtement avait dû être bien puissant pour qu’elles agissent
ainsi. Tandis qu’elle rentrait à l’hôtel du Petit-Bourbon, elle se demandait si
grâce à une sorcellerie similaire elle parviendrait à se faire aimer de ce
jeune homme si indifférent à son égard.
Mais qui pourrait pratiquer un tel maléfice ?
Impossible de s’adresser à Ruggieri, car Catherine de Médicis l’aurait su. Or, elle
ne connaissait pas d’autre mage. Comment faire ?
Elle songea alors à l’un de ses domestiques, Dominique
Miraille.
Revenue dans son hôtel, la duchesse de
Montpensier le fit appeler. C’était un vieil homme de soixante-dix ans qui
avait été concierge de sa belle-sœur, la princesse de La Roche-sur-Yon, et que
son intendant avait engagé à la mort de celle-ci. Miraille s’occupait du
fourrage aux écuries. Il était encore fort vigoureux pour son âge et s’était
récemment marié avec une fraîche jeune femme. Sa précédente épouse, une bonne
vieille grosse, était morte l’année précédente, et tout le monde, la duchesse
la première, avait été surpris de son nouveau mariage.
C’était une dame d’atours qui l’avait
finalement renseignée. On murmurait que l’ancien concierge s’était débarrassé
de sa première épouse par un sortilège. Ce caquetage avait inquiété Mme de Montpensier
qui l’avait engagée à en apprendre davantage. Pour s’attirer les bonnes grâces de
sa maîtresse, la dame d’atours avait fait quelques agaceries au vieil homme
afin de lui faire avouer la vérité. Elle n’y était pas parvenue, mais le
vieillard lui avait tout de même dit en riant que, si elle continuait à faire
ainsi la galante, il la mettrait dans son lit.
— Je suis une honnête femme, monsieur
Miraille ! lui avait-elle sèchement rétorqué.
— Peu importe, madame, je connais des
charmes si puissants qu’ils pourraient vous faire aller contre votre volonté, avait-il
ironisé.
La dame d’atours avait rapporté la
conversation à la duchesse qui avait demandé à son intendant d’interroger
Miraille. Si le moindre doute existait que l’homme pratique la magie, il
devrait être chassé. Mais l’intendant n’avait rien découvert, sinon l’amour que
la jeune épousée portait à son vieux mari, et la duchesse ne s’était plus
intéressée à ces médisances.
Aujourd’hui, elle avait une bonne raison de le
faire.
Quand Miraille se présenta dans sa chambre d’apparat,
elle fit sortir ses dames d’honneur et resta seule avec le vieillard dont le
visage affichait l’inquiétude. La duchesse était debout et fit quelques pas, une
expression sévère et soucieuse sur son beau visage.
— Monsieur Miraille, de méchants bruits
courent toujours sur votre compte, commença-t-elle.
— Moi, madame ? murmura le concierge,
maintenant terrorisé.
— On m’a rapporté que pour vous faire
aimer de votre épouse vous avez fait une statuette de cire… et pratiqué sur
cette image un envoûtement… Je suis catholique craignant Dieu et je ne veux pas
de sorcellerie chez moi !
— C’est un mensonge, madame ! Je n’ai
jamais pratiqué les charmes, je le jure sur les Saints Évangiles ! balbutia
Miraille.
— Ne niez pas, j’ai des preuves ! Vous
quitterez donc cette maison sur-le-champ. Remerciez-moi de ne pas vous dénoncer
au lieutenant civil.
Le vieillard se jeta à ses genoux et se mit à
sangloter.
— Pitié, madame ! Que vais-je
devenir à mon âge, avec ma femme et ma belle-mère ?
— Je m’en moque…
Il se coucha sur le parquet et lui baisa les
pieds en pleurnichant tandis qu’elle l’observait dans un mélange de répulsion
et
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