La Guerre Du Feu
lui-même invisible, il pouvait distinguer une rougeur de crépuscule. Il s’arrêtait continuellement, la massue et la hache aux poings ; parfois il mettait sa tête contre la terre ; et il avait soin de s’avancer par des circuits et non en ligne droite. Grâce à la terre molle et à sa prudence, la plus fine oreille de loup n’aurait pu entendre son pas. Il s’arrêta avant d’avoir atteint les buissons. Du temps passa ; il n’entendait et ne percevait que la chute des gouttelettes, le friselis des végétaux, quelque fuite de bête.
Alors, il prit une route oblique, dépassa les buissons et revint sur ses pas : aucune trace ne se révélait.
Il ne s’en étonne point, tout son instinct le lui ayant annoncé, et il s’éloigne dans la direction d’un tertre qu’il a remarqué au crépuscule. Il l’atteint après quelques tâtonnements et le gravit : là-bas, dans un repli, une lueur monte à travers la buée ; Naoh reconnaît un Feu d’hommes. La distance est si grande et l’atmosphère si opaque qu’il discerne à peine quelques silhouettes déformées. Mais il n’a aucun doute sur leur nature : le frisson qui l’a secoué au bord du lac le ressaisit. Et le danger, cette fois, est pire, car les étrangers ont reconnu la présence des Oulhamr avant d’être découverts eux-mêmes.
Naoh retourna vers ses compagnons, très lentement d’abord, plus vite lorsque le Feu fut visible.
– Les hommes sont là ! murmura-t-il.
Il tendait la main vers l’est, sûr de son orientation.
– Il faut ranimer le Feu dans les cages, ajouta-t-il après une pause.
Il confia cette opération à Nam et à Gaw, tandis que lui-même jetait des branchages autour du bûcher, de façon à faire une sorte de barrière ; ceux qui approcheraient pourraient bien discerner la lueur des flammes, mais non s’il y avait des veilleurs. Quand les cages furent prêtes et les provisions réparties, Naoh ordonna le départ.
La pluie devenait plus fine ; il n’y avait plus un souffle. Si les ennemis ne barraient pas la route, ou n’éventaient pas immédiatement la fuite, ils cerneraient le feu qui brûlait dans la solitude et, le croyant défendu, n’attaqueraient qu’après avoir multiplié les ruses. Ainsi Naoh pourrait prendre une avance considérable.
Vers l’aube, la pluie cessa. Une lueur chagrine monta des abîmes, l’aurore rampa misérablement derrière les nuées. Depuis quelque temps, les Oulhamr montaient une pente douce ; quand ils furent au plus haut, ils ne virent d’abord que la savane, la brousse et les forêts, couleur d’ardoise ou d’ocre, avec des îles bleues et des échancrures rousses.
– Les hommes ont perdu notre trace, murmura Nam.
Mais Naoh répondit :
– Les hommes sont à notre poursuite !
En effet, deux silhouettes surgirent à la fourche d’une rivière, vite suivies d’une trentaine d’autres. Malgré la distance, Naoh les jugea de stature étrangement courte ; on ne pouvait encore clairement distinguer la nature de leurs armes. Ils ne voyaient pas les Oulhamr dissimulés parmi les arbres, ils s’arrêtaient, par intervalles, pour vérifier les traces. Leur nombre s’accrut : le fils du Léopard l’évalua à plus de cinquante. D’ailleurs, il ne semblait pas qu’ils eussent la même agilité que les fugitifs.
À moins de revenir en arrière, les Oulhamr devaient traverser des zones presque nues ou semées d’herbes courtes. Le mieux était de marcher sans détour et de compter sur la fatigue de l’ennemi. Comme la pente redescendait, les Nomades firent beaucoup de chemin sans fatigue. Et quand, se retournant, ils virent les poursuivants qui gesticulaient sur la crête, l’avance avait crû.
Peu à peu, le pays se hérissait. Il y eut une plaine de craie, convulsive et boursouflée, puis des landes où abondaient des plantes dures, pleines de pièges, de mares ensevelies, qu’on n’apercevait pas d’abord et qu’il fallait contourner.
Quand on en a évité une, d’autres se présentent, en sorte que les Nomades n’avancent guère. Ils en viennent à bout. Alors se présente une terre rouge qui produit quelques pins appauvris, très hauts et très chétifs ; elle est enveloppée de tourbières. Enfin, ils revoient la savane et Naoh s’en réjouit, lorsque paraît, vers la gauche, une troupe d’hommes dont il reconnaît la structure.
Étaient-ce les mêmes qu’au matin et, accoutumés au territoire, avaient-ils suivi une voie plus
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