La Guerre Du Feu
Quelquefois, lorsque l’eau coulait trop épaisse et trop opiniâtre, un abri devenait nécessaire ; s’il n’était offert ni par les rocs, ni par les arbres, ni par le sol, il leur fallait le creuser ou le construire. Ainsi perdaient-ils beaucoup de jours. Ils en perdaient aussi à contourner les obstacles. Pour avoir voulu couper au plus droit, peut-être avaient-ils allongé leur voyage. Ils l’ignoraient, ils marchaient vers le pays des Oulhamr, au fil de l’instinct et en se rapportant au soleil, qui donnait des indications grossières mais incessantes.
Ils parvinrent au bord d’une terre de sable, entrecoupée de granit et de basalte. Elle semblait barrer tout le nord-occident, chenue, misérable et menaçante. Parfois elle produisait un peu d’herbe dure ; quelques pins tiraient des dunes une vie pénible ; les lichens mordaient la pierre et pendillaient en toisons pâles ; un lièvre fiévreux, une antilope rabougrie filaient au flanc des collines ou dans les détroits des mamelons. La pluie devenait plus rare ; des nuages maigres roulaient avec les grues, les oies et les bécasses.
Naoh hésitait à s’engager dans cette contrée lamentable. Le jour tournait à son déclin, une lueur terreuse glissait sur l’étendue, le vent courait, sourd et lugubre.
Tous trois, la face tournée vers les sables et les rocs, sentirent le frisson du désert passer sur leurs nuques. Mais, comme ils avaient de la chair en abondance et que la flamme luisait, claire, dans les cages, ils marchèrent vers leur sort.
Cinq jours s’écoulèrent sans qu’ils vissent la fin des plaines et des dunes nues. Ils avaient faim ; les bêtes fines et véloces échappaient à leurs pièges ; ils avaient soif, car la pluie avait décru encore et le sable buvait l’eau ; plus d’une fois, ils redoutèrent la mort du Feu. Le sixième jour, l’herbe poussa moins rare et moins coriace ; les pins firent place aux sycomores, aux platanes et aux peupliers. Les mares se multiplièrent, puis la terre noircit, le ciel s’abaissa, plein de nuages opaques qui s’ouvraient interminablement. Les Oulhamr passèrent la nuit sous un tremble, après avoir allumé un monceau de bois spongieux et de feuilles, qui gémissait sous l’averse et poussait une haleine suffocante.
Naoh veilla d’abord, puis ce fut au tour de Nam. Le jeune Oulhamr marchait auprès du foyer, attentif à le ranimer à l’aide d’une branche pointue et à sécher des rameaux avant de les lui donner en nourriture. Une lueur pesante traînait à travers les vapeurs et la fumée ; elle s’allongeait sur la glaise, glissait parmi les arbustes et rougissait péniblement les frondaisons. Autour d’elle rampaient les ténèbres. Elles emplissaient tout ; dans le ruissellement des eaux, elles étaient comme un fluide bitumineux et formidable. Nam se penchait pour sécher ses mains et ses bras, puis il tendait l’oreille. Le péril était au fond du gouffre noir : il pouvait déchirer avec la griffe ou la mâchoire, écraser sous les pieds du troupeau, faire couler la mort froide par le serpent, rompre les os avec la hache ou percer la poitrine avec le harpon.
Le guerrier eut un grelottement brusque : ses sens et son instinct se tendirent ; il connut que de la vie rôdait autour du Feu, et il poussa doucement le chef.
Naoh se dressa d’un bloc ; à son tour, il explora la nuit. Il sut que Nam ne s’était point trompé ; des êtres passaient, dont les plantes humides et la fumée dénaturaient l’effluve ; et pourtant, le fils du Léopard conjectura la présence des hommes. Il donna trois rudes coups d’épieu au plus chaud du bûcher : les flammes sautèrent, mêlées d’écarlate et de soufre ; des silhouettes, au loin, se tapirent.
Naoh éveilla le troisième compagnon.
– Les hommes sont venus ! murmura-t-il.
Côte à côte, longtemps, ils cherchèrent à surprendre l’ombre. Rien ne reparut. Aucun bruit étranger ne troublait le clapotement de la pluie ; aucune odeur évocatrice ne se décelait dans les sautes du vent. Où donc était le péril ? Était-ce une horde ou quelques hommes qui hantaient la solitude ? Quelle route suivre pour fuir ou pour combattre ?
– Gardez le Feu ! dit enfin le chef.
Ses compagnons virent son corps décroître, devenir pareil à une vapeur, puis l’inconnu l’absorba. Après un détour, il s’orienta vers les buissons où il avait vu se tapir les hommes. Le Feu le guidait. Quoiqu’il fût
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