La Guerre Du Feu
embûches de cette contrée, ils s’efforcèrent de découvrir une issue. Parfois ils croyaient y parvenir. Le sol se raffermissait, des hêtres, des sycomores, des fougères succédaient aux saules, aux peupliers et aux herbes palustres. Bientôt l’eau fiévreuse recommençait, les pièges s’ouvraient sournoisement, il fallait perdre ses pas et ses efforts.
La nuit fut proche. Le soleil prit la couleur du sang frais ; il s’affaissa sur le couchant noyé de tourbes, il s’embourba dans les mares.
Les Oulhamr savaient qu’il ne fallait compter que sur leur courage et leur vigilance ; ils avancèrent encore tant qu’il y eut une lueur au fond du firmament, puis ils firent halte, ayant devant eux une lande et à l’arrière un sol chaotique, où ils entr’apercevaient alternativement des clartés vagues et des trous de ténèbres. Ils arrachèrent des branches, roulèrent quelques grosses pierres, et, liant le tout à l’aide de lianes et d’osiers, ils se trouvèrent à l’abri d’une surprise. Mais ils se gardèrent d’allumer un brasier : ils donnaient seulement la nourriture aux petits feux, à demi cachés dans la terre ; ils attendaient les choses obscures qui tantôt menacent et tantôt sauvent la vie des hommes.
2
L’arête granitique
La nuit passa. Dans la lueur chancelante des étoiles, ni Nam, ni Gaw, ni le chef ne virent de silhouette humaine, ils n’entendirent et ne flairèrent que les vents humides, les bêtes de marécage, les rapaces aux ailes molles. Quand le matin se répandit comme une vapeur d’argent, la lande montra sa face morne, suivie d’une eau sans limites, entrecoupée d’îles boueuses.
S’ils s’éloignaient des rives, ils retrouveraient sans doute les Nains Rouges. Il fallait suivre les confins de la lande et du marécage, à la recherche d’une issue, et, comme rien n’indiquait la direction préférable, ils prirent celle qui semblait le moins se prêter aux embûches. D’abord, cette route se montra bonne. Le sol, assez résistant, à peine coupé de quelques flaques, produisait des plantes courtes, sauf au rivage même. Vers le milieu du jour, les buissons et les arbustes se multiplièrent ; il fallut continuellement guetter l’horizon rétréci. Toutefois, Naoh ne croyait pas que les Nains Rouges fussent proches. S’ils n’avaient pas abandonné la poursuite, ils suivaient la trace des Oulhamr : leur retard devait être considérable.
La provision de chair était épuisée. Les Nomades se rapprochèrent du rivage, où foisonnait la proie. Ils manquèrent une outarde, qui se réfugia sur une île. Ensuite, Gaw captura une petite brème à l’embouchure d’un ruisseau ; Naoh perça de son harpon un râle d’eau, puis Nam pêcha plusieurs anguilles. Ils allumèrent un feu d’herbe sèche et de rameaux, joyeux de flairer l’odeur des chairs rôties. La vie fut bonne, la force emplit leur jeunesse ; ils croyaient avoir lassé les Nains Rouges et ils achevaient de ronger les os du râle, lorsque des bêtes jaillirent des buissons. Naoh reconnut qu’elles fuyaient un ennemi considérable. Il se leva, il eut le temps de voir une forme furtive, dans un interstice des végétaux.
– Les Nains Rouges sont revenus ! dit-il.
Le péril était plus redoutable que naguère. Car les Nains Rouges pouvaient suivre les Oulhamr à couvert, leur couper la route par des embuscades.
Une bande de territoire s’allongeait, presque nue et favorable à la fuite, entre le marécage et la brousse. Les Oulhamr se hâtèrent de charger les cages, les armes et ce qui leur restait de chair. Rien n’entrava leur départ. Si l’ennemi les suivait par les buissons, il devait perdre du terrain, étant ensemble moins leste et entravé par les végétaux. La lande aride s’élargit d’abord, puis elle commença à se rétrécir parmi des arbres, des arbustes ou des herbes hautes. Pourtant le sol demeurait solide, et Naoh était sûr d’avoir distancé les Nains Rouges : tant qu’aucun obstacle ne se présenterait, il garderait l’avantage.
Les obstacles vinrent. Le marécage avança des tentacules sur la plaine, des havres profonds, des mares, des canaux gorgés de plantes visqueuses. Les fugitifs voyaient leur route obstruée sans relâche : ils devaient tourner, biaiser et même revenir sur leurs pas. À la fin, ils se trouvèrent resserrés sur une bande granitique, que limitaient à droite l’eau immense, à gauche des terrains inondés par les
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