La Guerre Du Feu
crues d’automne. L’ossature granitique s’abaissa et disparut ; les Oulhamr se trouvaient cernés sur trois faces : il leur fallait ou rebrousser chemin, ou attendre les coups du hasard.
Ce fut un moment formidable. Si les Nains Rouges étaient à l’entrée de la bande, toute retraite devenait impossible. Et Naoh, le front bas devant le monde hostile, regretta amèrement d’avoir quitté les mammouths. Son énergie fléchit, il connut le découragement et la détresse. Puis l’action revint, avec son urgence et sa rudesse ; le regret passa comme un battement de cœur ; il n’y eut que l’heure présente. Elle exigeait la tension de tout l’être et l’éveil continu des sens.
Les Nomades essayèrent rapidement les issues. Au loin, une masse rousse s’élevait, qui pouvait être une île, qui pouvait aussi être la reprise de l’arête. Gaw et Naoh cherchèrent un gué ; ils ne trouvèrent que l’eau profonde ou la trahison des fanges et des vases.
Alors, la dernière chance était dans le retour. Ils le décidèrent brusquement et l’exécutèrent en hâte. Ils parcoururent deux mille coudées et se retrouvèrent hors du marécage, devant une végétation touffue, à peine entrecoupée d’îlots et d’herbe rase ; Nam, qui précédait, s’arrêta net et dit :
– Les Nains Rouges sont là.
Naoh n’en doutait point. Pour mieux s’en assurer il ramassa des pierres et les lança rapidement dans le fourré que Nam désignait : une fuite légère mais certaine décela les ennemis.
La retraite devenait impossible : il fallait se préparer au combat. Or l’endroit où se trouvaient les Oulhamr ne leur offrait point d’avantage et permettrait aux Nains Rouges de les envelopper. Mieux valait s’établir sur une partie de l’arête. Avec la lueur du Feu, ils y seraient à l’abri des surprises.
Naoh, Nam et Gaw poussèrent leur cri de guerre. Et, tandis qu’ils brandissaient leurs armes, Naoh clamait :
– Les Nains Rouges ont tort de poursuivre les Oulhamr, qui sont forts comme l’ours et agiles comme le saïga. Si les Nains Rouges les attaquent, ils mourront en grand nombre ! Naoh seul en abattra dix... Nam et Gaw en tueront aussi. Les Nains Rouges veulent-ils faire mourir quinze de leurs guerriers pour détruire trois Oulhamr ?
De toutes parts, des voix s’élevèrent dans les buissons et parmi les hautes herbes. Le fils du Léopard comprit que les Nains Rouges voulaient la guerre et la mort. Il ne s’en étonnait pas : de tout temps, les Oulhamr n’avaient-ils pas tué les hommes étrangers qu’ils surprenaient près de la horde ? Le vieux Goûn disait : « Il vaut mieux laisser la vie au loup et au léopard qu’à l’homme ; car l’homme que tu n’as pas tué aujourd’hui, il viendra plus tard avec d’autres hommes pour te mettre à mort. » Naoh ne reviendrait pas mettre à mort les Nains Rouges, s’ils lui laissaient la route libre, mais il comprenait bien qu’ils devaient le craindre.
D’ailleurs, il savait aussi que les hommes de deux hordes se haïssent naturellement plus que le rhinocéros ne hait le mammouth. Sa grande poitrine s’emplissait de colère ; il provoqua les ennemis, il s’avança vers les buissons en grondant. De minces sagaies sifflèrent, dont aucune ne vint jusqu’à lui. Et il poussa un rire farouche :
– Les bras des Nains Rouges sont faibles !... Ce sont des bras d’enfants !... À chaque coup, Naoh en abattra un de sa massue ou de sa hache...
Une tête s’aperçut parmi des vignes sauvages. Elle se confondait avec la teinte des feuilles rougies par l’automne. Mais Naoh avait vu briller les yeux. Une fois encore, il voulut montrer sa force sans employer la sagaie : la pierre qu’il lança fit frémir le feuillage, un cri aigu s’éleva.
– Voilà ! C’est la force de Naoh... Avec la sagaie aiguë, il aurait terrassé le Nain Rouge.
Alors seulement, il battit en retraite au milieu des glapissements de l’ennemi. Il préféra aller jusqu’au bout de l’arête : il y avait place pour plusieurs hommes et les Nains Rouges devraient attaquer sur une ligne étroite. Du côté de l’eau, à cause des plantes perfides, aucun radeau ne pourrait se faire jour, aucun homme n’oserait se risquer à la nage.
On ne pouvait davantage atteindre un îlot escarpé, qui se dressait à soixante coudées de la levée granitique.
Ayant accumulé des roseaux flétris pour le feu du soir, les Oulhamr n’eurent plus
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