La Guerre Du Feu
brusque, et l’on eût dit que des buissons s’avançaient ainsi que des êtres. Quand le jour pointa, Naoh vit qu’un amas de branchages obstruait l’abord de la chaussée granitique : les Nains Rouges poussèrent des clameurs guerrières. Et le Nomade comprit qu’ils allaient avancer cet abri. Ainsi pourraient-ils lancer leurs sagaies sans se découvrir, ou jaillir brusquement, en grand nombre, pour une attaque décisive.
La situation des Oulhamr s’aggravait par elle-même. Leur provision épuisée, ils avaient eu recours aux poissons du marécage. Le lieu n’était pas favorable. Ils capturaient difficilement quelque anguille ou quelque brème ; et, malgré qu’ils y joignissent des batraciens, leurs grands corps et leur jeunesse souffraient de pénurie. Nam et Gaw, à peine adultes et faits pour croître encore, s’épuisaient. Le troisième soir, assis devant le feu, Naoh fut pris d’une immense inquiétude. Il avait fortifié l’abri, mais il savait que, dans peu de jours, si la proie demeurait aussi rare, ses compagnons seraient plus faibles que des Nains Rouges, et lui-même ne lancerait-il pas moins bien la sagaie ? Sa massue s’abattrait-elle aussi meurtrière ?
L’instinct lui conseillait de fuir à la faveur des ténèbres. Mais il fallait surprendre les Nains Rouges et forcer le passage : c’était probablement impossible...
Il jeta un regard vers l’ouest. Le croissant avait pris de l’éclat et ses cornes s’émoussaient ; il descendait à côté d’une grande étoile bleue qui tremblotait dans l’air humide. Les batraciens s’appelaient de leurs voix vieilles et tristes, une chauve-souris vacillait parmi les noctuelles, un grand duc passa sur ses ailes pâles, on voyait luire brusquement les écailles d’un reptile. C’était un de ces soirs familiers à la horde, quand elle campait près des eaux, sous un ciel clair. Les images anciennes remplirent la tête de Naoh, avec un bourdonnement. Une scène se détacha parmi les autres, qui l’amollissait comme un enfant. La horde campait auprès de ses feux ; le vieux Goûn laissait couler ses souvenirs qui enseignaient les hommes ; une odeur de chair rôtie flottait avec la brise, et l’on apercevait, derrière une jungle de roseaux, la longue lueur du marécage dans le clair de lune.
Trois filles se levèrent parmi les femmes. Elles rôdaient autour des feux ; elles dépensaient l’ardeur de leur vie qu’un jour de lassitude n’avait pu assoupir ; elles passèrent devant Naoh, avec leur rire étrange et la folie de leur jeunesse. Le vent se leva brusquement, une chevelure frappa le jeune Oulhamr au visage, la chevelure de Gammla, et, dans l’instinct sourd, ce fut un choc. Si loin de la tribu, parmi les embûches des hommes et la rudesse du monde, cette image était la chose profonde de la vie. Elle courbait Naoh vers la rive, elle faisait jaillir de sa poitrine un souffle rauque... Elle s’effaça. Il secoua la tête, il recommença de songer à son sauvetage. Une fièvre le prit, il se dressa et tourna le Feu ; il marcha dans la direction des Nains Rouges.
Ses dents grincèrent : l’abri de branches s’était encore rapproché ; peut-être, la nuit suivante, l’ennemi pourrait-il commencer l’attaque.
Soudain, un cri aigu perça l’étendue, une forme émergea de l’eau, d’abord confuse ; puis Naoh reconnut un homme. Il se traînait ; du sang coulait d’une de ses cuisses. Il était d’étrange stature, presque sans épaules, la tête très étroite. Il sembla d’abord que les Nains Rouges ne l’eussent pas aperçu, puis une clameur s’éleva, les sagaies et les pieux sifflèrent. Alors, des impressions tremblèrent dans Naoh et le soulevèrent. Il oublia que cet homme devait être un ennemi ; il ne sentit que le déchaînement de sa fureur contre les Nains Rouges et il courut vers le blessé comme il aurait couru vers Nam et Gaw. Une sagaie le frappa à l’épaule sans l’arrêter. Il poussa son cri de guerre, il se précipita sur le blessé, l’enleva d’un seul geste et battit en retraite. Une pierre lui choqua le crâne, une seconde sagaie lui écorcha l’omoplate... Déjà il était hors de portée... et, ce soir-là, les Nains Rouges n’osèrent pas encore risquer la grande lutte.
3
La nuit sur le marécage
Quand le fils du Léopard eut tourné le Feu, il déposa l’homme sur les herbes sèches et le considéra avec surprise et méfiance. C’était un être
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