La Guerre Du Feu
tremblotante, qui se disjoignait continuellement, et où les Oulhamr reconnurent une étrange migration d’oiseaux. Avec un bruit de vent et d’onde, les bandes rauques des corbeaux précédaient les grues aux pattes flottantes, les canards dardant leurs têtes versicolores, les oies aux outres pesantes, les étourneaux lancés comme des cailloux noirs. Pêle-mêle, affluaient des grives, des pies, des mésanges, des sansonnets, des outardes, des hérons, des engoulevents, des pluviers et des bécasses.
Sans doute, là-bas, derrière l’horizon, quelque rude catastrophe les avait épouvantés et chassés vers des terres nouvelles.
Au crépuscule, les bêtes velues suivirent. Les élaphes galopaient éperdument, avec les chevaux vertigineux, les mégacéros ronflants, les saïgas aux pattes fines ; des hordes de loups et de chiens passaient en cyclone ; un grand lion jaune et sa lionne faisaient des bonds de quinze coudées devant un clan de chacals. Beaucoup firent halte auprès du marécage et s’abreuvèrent.
Alors, la guerre éternelle, suspendue par la panique, se ralluma : un léopard bondit sur la croupe d’un cheval et se mit à lui ronger la gorge ; des loups fondirent sur une horde de saïgas ; un aigle emportait un héron dans les nuées ; le lion, avec un long rugissement, épiait les proies fugitives. On vit surgir une bête basse sur pattes, presque aussi massive que le mammouth et dont la peau formait une écorce profonde et ridée comme celle des vieux chênes. Peut-être le lion ne la connaissait-il pas, car il poussa un second rugissement, avec la menace de sa tête formidable, de ses crocs de granit et de sa crinière hérissée. Le rhinocéros, agacé par ce bruit de foudre, leva un mufle cornu, et fonça furieusement sur le félin. Ce ne fut pas même une lutte. Le haut corps roux culbuta, roula sur lui-même, tandis que la masse rugueuse continuait sa course aveugle, ayant vaincu sans presque s’en apercevoir. Une plainte caverneuse, de douleur et de rage, jaillissait des flancs du lion. La stupeur d’avoir senti sa force aussi vaine que celle d’un chacal appesantissait son crâne obscur.
Naoh avait fiévreusement espéré que l’invasion des bêtes chasserait les Nains Rouges. Son attente fut déçue. L’exode ne fit qu’effleurer l’aire où campaient les assiégeants et, lorsque la nuit refoula les cendres du crépuscule, des feux s’allumèrent sur la plaine, des rires féroces s’entendirent. Puis le site redevint silencieux. À peine si quelque courlis inquiet battait des ailes, si des étourneaux bruissaient dans les oseraies ou si la nage d’un saurien agitait les nymphéas. Pourtant, des créatures singulières parurent au ras de l’eau et se dirigèrent vers l’îlot voisin de l’arête granitique. On distinguait leur passage aux remous des eaux et à l’émergence de têtes rondes, couvertes d’algues... Il y en avait cinq ou six ; Naoh et l’Homme-sans-épaules les observaient avec méfiance. Enfin, elles abordèrent dans l’îlot, se mirent sur une saillie rocheuse, puis leurs voix s’élevèrent, sarcastiques et farouches ; Naoh, avec stupeur, reconnut des hommes ; s’il en avait douté, les clameurs qui répondirent au long de la rive auraient dissipé son incertitude... Il sentait avec rage que les Nains Rouges, profitant de l’immigration des bêtes, venaient de vaincre sa vigilance... Mais comment s’étaient-ils frayé un passage ?
Il y rêvait, farouche, lorsqu’il vit l’Homme-sans-épaules tracer de la main, avec persistance, une direction qui partait de la rive et aboutissait à l’îlot. Puis il montrait l’arête granitique. Le fils du Léopard devina qu’il devait y avoir une deuxième arête qui atteignait presque la surface du marécage. Maintenant, l’ennemi était là, sur son flanc, plein de pièges..., et il fallait s’étendre derrière les saillies pour éviter ses pierres et ses sagaies !
Le silence a ressaisi le marécage ; Naoh continue à veiller sous les constellations tremblotantes.
Le buisson des Nains Rouges s’avance lentement : avant la moitié de la nuit, il touchera presque le Feu des Nomades et l’attaque se produira. Elle sera difficile. Les Nains Rouges devront franchir les flammes qui occupent toute la largeur de l’arête et se prolongent pendant plusieurs coudées.
Comme Naoh, tout son instinct tendu, pense à ces choses, une pierre partie de l’îlot roule sur le bûcher. Le Feu siffle,
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