La Guerre Du Feu
qu’à attendre. De toutes leurs attentes, ce fut la plus terrible. Lorsqu’ils guettaient l’ours gris, ils espéraient, par quelques coups bien portés, anéantir la bête. Lorsqu’ils étaient emprisonnés parmi les pierres basaltiques, ils n’ignoraient pas que le lion-tigre devait s’éloigner pour chercher la proie. Jamais ils n’avaient été cernés par les Dévoreurs d’Hommes...
À présent, la horde qui les assiège a la ruse et le nombre, il est impossible de l’anéantir. Les jours suivront les jours sans qu’elle cesse de veiller devant le marécage, et, si elle ose faire une attaque, comment trois hommes lui résisteraient-ils ?
Ainsi Naoh se trouve pris par la force de ses semblables ; et pourtant, ces semblables sont parmi les plus faibles : aucun d’entre eux ne saurait étrangler un loup ; jamais leurs sagaies légères ne pénétreraient jusqu’au cœur du lion comme les flèches des Oulhamr ; leurs épieux demeureraient impuissants devant l’aurochs, mais ils peuvent atteindre le cœur d’un homme...
Le fils du Léopard hait la puissance de sa race. Il la sent plus implacable, plus venimeuse, plus destructive que la puissance des félins, des serpents et des loups. Et, se souvenant de la bonté des mammouths, sa poitrine se soulève, un soupir caverneux la déchire, il tourne vers eux cette adoration qui germe au fond de son âme et qui, aussi forte que l’adoration du Feu, est plus tendre et plus douce...
Cependant, le Soleil et l’Eau mêlent leurs vies brillantes. L’Eau est immense, on ne voit pas sa fin, et le Soleil n’est qu’un feu grand comme la feuille du nymphéa. Mais la lumière du Soleil est plus grande que l’Eau même : elle s’étale sur le marécage, elle remplit tout le ciel qui lui-même domine l’étendue de la terre. Dans sa fièvre, Naoh, sans cesser de songer aux Nains Rouges, au combat, aux embuscades et à la délivrance, s’étonne de la lumière si vaste venue d’un feu si petit. Un poids terrible enveloppe ses épaules ; son cœur saute comme une panthère, il l’entend battre contre ses os...
Quelquefois, le Nomade se dresse et lève sa massue ; la guerre le remplit tout entier, ses bras s’impatientent de ne pas frapper ceux qui insultent à sa force. Mais la prudence et la ruse reviennent, sans lesquelles aucun homme ne persisterait une saison : sa mort serait trop belle pour l’ennemi s’il allait la chercher lui-même ; il faut qu’il fatigue les Nains Rouges, qu’il les effraie, qu’il en tue beaucoup. D’ailleurs, il ne veut pas mourir, il veut revoir Gammla. Et, quoiqu’il ne sache pas comment il décevra la horde, sa vie forte garde l’espoir, ne sent pas qu’elle puisse disparaître ; elle s’étend aussi loin que les eaux et que la lumière.
D’abord les Nains Rouges n’avaient point paru, par crainte d’une embûche ou parce qu’ils attendaient une imprudence des Oulhamr. Ils se montrèrent vers le déclin du jour. On les voyait jaillir de leurs retraites et s’avancer jusqu’à l’entrée de l’arête granitique, avec un singulier mélange de glissements et de sauts, puis, arrêtés, ils considéraient le marécage. L’un ou l’autre poussait un cri, mais les chefs gardaient le silence, attentifs. Au crépuscule, les corps rouges grouillèrent ; on eût dit, dans la lueur cendreuse, d’étranges chacals dressés sur leurs pattes de derrière. La nuit vint. Le feu des Oulhamr étendit sur les eaux une clarté sanglante. Derrière les buissons, les feux des assiégeants cuivraient les ténèbres. Des silhouettes de veilleurs se profilaient et disparaissaient. Malgré des simulacres d’attaque, les agresseurs se tinrent hors de portée.
Le jour suivant fut d’une longueur insupportable. Maintenant les Nains Rouges circulaient sans cesse, tantôt par petits groupes, tantôt en masse. Leurs mâchoires élargies exprimaient une opiniâtreté invincible. On sentait qu’ils poursuivraient sans relâche la mort des étrangers ; c’était un instinct développé en eux depuis des centaines de générations, et sans lequel ils eussent succombé devant des races d’hommes plus fortes mais moins solidaires.
Durant la seconde nuit, ils n’esquissèrent aucune attaque : ils gardaient un silence profond et ne se montraient point. Leurs feux mêmes, soit qu’ils ne les eussent pas allumés, soit qu’ils les eussent transportés au loin, demeuraient invisibles. Vers l’aube il y eut une rumeur
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