La Guerre Du Feu
sagaies et son harpon, qu’il avait ramenés de sa première attaque, et, à son tour, se servit de pierres.
Les Nains Rouges conçurent que leur défaite était certaine s’ils ne revenaient au corps à corps. Ils précipitèrent la charge. Elle rencontra le vide. Les Hommes-sans-épaules avaient reflué sur les flancs, tandis que Naoh, Nam et Gaw, plus lestes, atteignaient des retardataires ou des blessés et les assommaient.
Si les alliés avaient été aussi véloces que les Oulhamr, le contact fût demeuré impossible, mais leurs longues enjambées étaient incertaines et lentes. Dès que les Nains Rouges se décidèrent à les poursuivre individuellement, l’avantage se déplaça. Le souffle du désastre passa : de toutes parts, les épieux s’enfonçaient aux entrailles des Hommes-sans-épaules. Alors, Naoh jeta un long regard sur la mêlée. Il vit celui dont la voix guidait les Nains Rouges, un homme trapu, au poil semé de neige, aux dents énormes. Il fallait l’atteindre ; quinze poitrines l’enveloppaient... Un courage plus fort que la mort souleva la grande stature du Nomade. Avec un grondement d’aurochs, il prit sa course. Tout croulait sous la massue. Mais, près du vieux chef, les épieux se hérissèrent ; ils fermaient la route, ils frappaient aux flancs du colosse. Il réussit à les abattre. D’autres Nains accoururent. Alors, appelant ses compagnons, d’un effort suprême, il renversa la barrière de torses et d’armes, il écrasa comme une noix la tête épaisse du chef...
Au même instant, Nam et Gaw bondissaient à son aide...
Ce fut la panique. Les Nains Rouges connurent qu’une énergie néfaste était sur eux, et, de même qu’ils eussent combattu jusqu’au dernier à la voix du chef, ils se sentirent abandonnés quand cette voix se fut tue. Pêle-mêle, ils fuyaient, sans un regard en arrière, vers les terres natales, vers leurs lacs et leurs rivières, vers les hordes d’où ils tiraient leur courage et où ils allaient le ressaisir.
5
Les hommes qui meurent
Trente hommes et dix femmes gisaient sur la terre. La plupart n’étaient pas morts. Le sang coulait à grandes ondes ; des membres étaient rompus et des crânes crevassés ; des ventres montraient leurs entrailles. Quelques blessés s’éteindraient avant la nuit ; d’autres pouvaient vivre plusieurs journées, beaucoup étaient guérissables. Mais les Nains Rouges devaient subir la loi des hommes. Naoh lui-même, qui avait souvent enfreint cette loi, la reconnut nécessaire avec ces ennemis impitoyables.
Il laissa ses compagnons et les Hommes-sans-épaules percer les cœurs, fendre ou détacher les têtes. Le massacre fut prompt : Nam et Gaw se hâtaient, les autres agissaient selon des méthodes millénaires et presque sans férocité.
Puis il y eut une pause de torpeur et de silence. Les Hommes-sans-épaules pansaient leurs blessés. Ils le faisaient d’une manière plus minutieuse et plus sûre que les Oulhamr. Naoh avait l’impression qu’ils connaissaient plus de choses que ceux de sa tribu, mais que leur vie était chétive. Leurs gestes étaient flexibles et tardifs ; ils se mettaient deux et même trois pour soulever un blessé ; parfois, pris d’une torpeur étrange, ils demeuraient les yeux fixes, les bras suspendus comme des branches mortes.
Peut-être les femmes se montraient-elles moins lentes. Elles semblaient aussi plus adroites et déployaient plus de ressources. Même, après quelque temps, Naoh s’aperçut que l’une d’entre elles commandait à la tribu. Cependant, elles avaient les mêmes yeux obscurs, le même visage triste que leurs mâles, et leur chevelure était pauvre, plantée par touffes, avec des îlots de peau squameuse. Le fils du Léopard songea aux chevelures abondantes des femmes de sa race, à l’herbe magnifique qui étincelait sur la tête de Gammla... Quelques-unes vinrent, avec deux hommes, considérer les blessures des Oulhamr. Une douceur tranquille émanait de leurs mouvements. Elles nettoyaient le sang avec des feuilles aromatiques, elles couvraient les plaies d’herbes écrasées que maintenaient des liens de jonc. Ce pansement fut le signe définitif de l’alliance. Naoh songea que les Hommes-sans-épaules étaient bien moins rudes que ses frères, que les Dévoreurs d’Hommes et que les Nains Rouges. Et son instinct ne le trompait pas plus qu’il ne le trompait sur leur faiblesse.
Leurs ancêtres avaient taillé la pierre et le bois
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