La Guerre Du Feu
avaient vu mourir le feu et qu’il avait su le reconquérir. Personne ne paraissant le comprendre, Naoh se demanda s’ils n’étaient pas de ces races misérables qui ne savent pas se chauffer pendant les jours froids, éloigner la nuit ni cuire les aliments. Le vieux Goûn disait qu’il existait de telles hordes, inférieures aux loups, qui dépassent l’homme par la finesse de l’ouïe et la perfection du flair. Naoh, pris de pitié, allait leur montrer comment on fait croître la flamme, lorsqu’il aperçut, parmi des saules, une femme qui frappait l’une contre l’autre deux pierres. Des étincelles jaillissaient, presque continues, puis un petit point rouge dansa le long d’une herbe très fine et très sèche ; d’autres brins flambèrent, que la femme entretenait doucement de son souffle : le feu se mit à dévorer des feuilles et des ramilles.
Le fils du Léopard demeurait immobile. Et il songea, pris d’un grand saisissement :
« Les Hommes-sans-épaules cachent le feu dans des pierres ! »
S’approchant de la femme, il cherchait à l’examiner. Elle eut un geste instinctif de méfiance. Puis, se souvenant que cet homme les avait sauvés, elle lui tendit les pierres. Il les examina avidement et, n’y pouvant découvrir aucune fissure, sa surprise fut plus grande. Alors, il les tâta : elles étaient froides. Il se demandait avec inquiétude :
« Comment le feu est-il entré dans ces pierres... et comment ne les a-t-il pas chauffées ? »
Il rendit les pierres avec cette crainte et cette méfiance que les choses mystérieuses inspirent aux hommes.
6
Par le Pays des Eaux
Les Wah et les Oulhamr traversaient le Pays des Eaux. Elles se répandaient en nappes croupissantes, pleines d’algues, de nymphéas, de nénuphars, de sagittaires, de lysimaques, de lentilles, de joncs et de roseaux ; elles formaient de troublantes et terribles tourbières ; elles se suivaient en lacs, en rivières, en réseaux entrecoupés par la pierre, le sable ou l’argile ; elles jaillissaient du sol ou se plaignaient sur la pente des collines, et quelquefois, bues par les fissures, elles se perdaient au fond de contrées souterraines. Les Wah savaient maintenant que Naoh voulait suivre une route entre le nord et l’occident. Ils lui abrégeaient le voyage, ils voulaient le guider jusqu’à ce qu’il fût au bout des terres humides. Leurs ressources semblaient innombrables. Tantôt ils découvraient des passages qu’aucune autre espèce d’hommes n’aurait soupçonnés ; tantôt ils construisaient des radeaux, jetaient un tronc d’arbre en travers du gouffre, reliaient deux rives à l’aide de lianes. Ils nageaient avec habileté, quoique lentement, pourvu qu’il n’y eût pas certaines herbes dont ils avaient une crainte superstitieuse. Leurs actes semblaient pleins d’incertitude ; souvent ils agissaient comme des créatures qui luttent contre le sommeil ou qui sortent d’un rêve ; et cependant, ils ne se trompaient presque jamais.
Il y avait abondance de vivres. Les Wah connaissaient beaucoup de racines comestibles ; surtout, ils excellaient à surprendre les poissons. Ils savaient les atteindre avec le harpon, les saisir à la main, les enchevêtrer d’herbes souples, les attirer la nuit avec des torches, orienter leurs bancs vers des criques. Par les soirs, quand le feu resplendissait sur un promontoire, dans une île ou sur un rivage, ils goûtaient un bonheur doux et taciturne. Ils aimaient s’asseoir en groupe, serrés les uns contre les autres, comme si leurs individualités affaiblies se retrempaient dans le sentiment de la race, tandis que les Oulhamr s’espaçaient, surtout Naoh, qui, pendant de longs intervalles, se plaisait à la solitude. Souvent les Wah faisaient entendre une mélopée très monotone, qu’ils répétaient à l’infini, et qui célébrait des actes anciens, dont aucun n’avait le souvenir ; elle devait se rapporter à des générations mortes depuis longtemps. Rien de tout cela n’intéressait le fils du Léopard. Il en concevait du malaise et presque de la répugnance. Mais il observait, avec une curiosité véhémente, leurs gestes de chasse, de pêche, d’orientation, de travail, particulièrement la manière dont ils se servaient du propulseur et dont ils tiraient le Feu des pierres.
Il s’initia vite au jeu du propulseur. Comme il inspirait aux alliés une sympathie croissante, ils ne lui cachèrent aucun secret. Il put manier leurs
Weitere Kostenlose Bücher