La Guerre Du Feu
avant les autres hommes. Pendant des millénaires, les Wah occupèrent des plaines et des forêts nombreuses. Ils furent les plus forts. Leurs armes faisaient des blessures profondes, ils connaissaient les secrets du feu et, dans le choc avec les faibles hordes errantes ou les familles solitaires, ils prenaient facilement l’avantage. Alors, leur structure était puissante, leurs muscles rudes et infatigables ; ils se servaient d’un langage moins imparfait que celui de leurs semblables. Et leurs générations s’accroissaient incomparablement sur la face du monde. Puis, sans qu’ils eussent subi d’autres cataclysmes que les autres hommes, leur croissance s’arrêta. Ils ne s’en étaient pas plus aperçus qu’ils n’avaient dû s’apercevoir de leur déchéance.
Les milieux qui avaient favorisé leur développement le contrarièrent. Leurs corps devinrent plus étroits et plus lents ; leur langage cessa de s’enrichir, puis il s’appauvrit ; leurs ruses se firent plus grossières et moins nombreuses ; ils ne maniaient ni avec la même vigueur ni avec la même adresse leurs armes moins bien construites. Mais le signe le plus sûr de leur décadence fut le ralentissement continu de leur pensée et de leurs gestes. Vite las, ils mangeaient peu et dormaient beaucoup : en hiver, il leur arrivait de s’engourdir comme les ours.
De génération en génération décroissait leur faculté de se reproduire. Les femmes concevaient péniblement un ou deux enfants, dont la croissance était difficile. Un grand nombre d’entre elles demeuraient stériles. Toutefois elles manifestaient une vitalité supérieure à celle des mâles, plus d’endurance aussi, et leurs muscles avaient subi une moindre atteinte. Peu à peu, leurs actes devinrent identiques à ceux des guerriers : elles chassaient, pêchaient, taillaient les armes et les outils, combattaient pour la famille ou la horde. En somme, la différence des sexes s’abolissait presque.
Et la race entière se trouva rejetée lentement vers le sud-ouest par des concurrents plus rudes, plus actifs, plus prolifiques.
Les Nains Rouges en avaient anéanti des hordes nombreuses ; les Dévoreurs d’Hommes les avaient massacrés sans lassitude. Ils rôdaient comme dans un rêve, avec les vestiges d’une industrie plus fine que celle des rivaux, avec les restes d’une intelligence moins sommaire. Ils s’étaient adaptés aux terres où les fleuves débordent, où s’accumulent les tourbières et les marécages, parmi les grands lacs et aussi dans quelques pays souterrains.
Dans les vastes cavernes creusées par les eaux, reliées par des pertuis sinueux, ils retrouvaient admirablement leur route et savaient se creuser des issues. Quoiqu’ils n’eussent aucune idée précise sur leur décadence, ils se connaissaient lents, faibles, vite recrus de fatigue, et rusaient pour éviter la lutte. Ils se terraient avec une habileté qui eût déconcerté le flair des chiens et des loups, à plus forte raison le flair grossier des hommes. Aucune bête n’effaçait mieux ses traces.
Ces êtres timides, sur un seul point, montraient de l’imprudence et de la témérité : ils risquaient tout pour délivrer un des leurs pris, cerné ou tombé au piège. Cette solidarité, comparable à celle des pécaris, et qui jadis avait immensément accru leur puissance, les conduisait parfois à de sinistres aventures. C’est elle qui les avait entraînés au secours de l’homme recueilli par Naoh. Comme les Nains veillaient, comme il avait fallu parcourir des terres arides, les Wah s’étaient laissé découvrir et même surprendre. Sans l’intervention de Naoh, ils eussent succombé dans la lutte ; de même, leur présence avait sauvé les trois Oulhamr.
Cependant, le fils du Léopard, après le pansement, retourna vers l’arête granitique pour reprendre les cages. Il les retrouva intactes ; leurs petits foyers rougeoyaient encore. En les revoyant, la victoire lui parut plus complète et plus douce. Ce n’est pas qu’il craignît l’absence du Feu ; les Hommes-sans-épaules lui en donneraient sûrement. Mais une superstition obscure le guidait ; il tenait à ces petites flammes de la conquête ; l’avenir aurait paru menaçant si elles étaient toutes trois mortes. Il les ramena glorieusement auprès des Wah.
Ils l’observaient avec curiosité et une femme, qui conduisait la horde, hocha la tête. Le grand Nomade montra, par des gestes, que les siens
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