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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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son épaule. Lorsque Natacha, assise au chevet du prince André, avait été informée de l’arrivée de la princesse, elle avait doucement quitté la chambre pour courir à sa rencontre. Son visage ému n’exprimait qu’un amour sans bornes pour lui, pour elle, pour tous ceux qui tenaient de près à celui qui lui était cher, une compassion infinie pour les autres, et un désir passionné de se sacrifier tout entière pour ceux qui souffraient ! La pensée égoïste d’unir à jamais son avenir à celui du prince André n’existait plus dans son cœur. L’instinct si délicat de la princesse Marie le lui fit deviner au premier regard, et cette découverte diminua l’amertume de ses larmes.
    « Allons chez lui, Marie, » dit Natacha en l’entraînant dans une autre pièce. La princesse releva la tête et s’essuya les yeux, mais, au moment de lui poser une question, elle s’arrêta. Elle sentait que la parole serait impuissante à l’exprimer ou à y répondre, et qu’elle lirait sur la physionomie et dans les yeux de Natacha tout ce qu’elle désirait apprendre.
    De son côté, Natacha était pleine d’anxiété et de doutes : fallait-il ou ne fallait-il pas lui dire ce qu’elle savait ? Comment taire la vérité à ces yeux si lumineux qui la pénétraient jusqu’au fond du cœur, et qu’on ne pouvait tromper ? Les lèvres de Natacha tremblèrent, sa bouche se contracta, et, éclatant en sanglots, elle se cacha le visage. La princesse Marie avait compris ! Néanmoins, se refusant encore à perdre tout espoir, elle lui demanda en quel état se trouvait la plaie et depuis quand l’état général avait empiré.
    « Vous… vous le verrez, » dit Natacha en pleurant.
    Elles restèrent quelques instants dans la chambre voisine de celle du malade, afin de se remettre de leur émotion.
    « Quand est-ce arrivé ? » demanda la princesse Marie.
    Natacha lui raconta comment, dès le début, la fièvre et les souffrances avaient fait craindre une issue malheureuse ; ensuite elles s’étaient calmées, bien que le docteur redoutât toujours la gangrène, mais ce danger avait été également écarté ; à leur arrivée à Yaroslaw, la suppuration s’était produite, le docteur avait encore espéré lui voir suivre un cours régulier ; puis la fièvre avait repris, sans toutefois provoquer de craintes sérieuses.
    « Enfin, depuis deux jours, dit Natacha en retenant ses sanglots, « cela » est survenu tout à coup… je n’en connais pas la raison et vous verrez vous-même.
    – La faiblesse est-elle grande ? A-t-il beaucoup maigri ?
    – Non, ce n’est pas tout cela, c’est pire, vous verrez… Marie, il est trop bon, il est trop bon pour ce monde, il ne peut pas vivre, et alors… »

XV
    Lorsque Natacha ouvrit la porte, en laissant passer la princesse Marie devant elle, la princesse, suffoquée par les larmes malgré tous ses efforts pour les maîtriser, pressentit qu’elle n’aurait pas la force de voir son frère sans pleurer. Elle savait bien ce que signifiaient les paroles de Natacha et « ce » qui était survenu à son frère depuis deux jours. Elle avait compris que cette disposition, pleine d’humilité et de tendresse, était l’avant-coureur de la mort. Elle revit, dans son imagination la figure de son petit André telle qu’elle l’avait connue dans son enfance, et dont l’expression douce et affectueuse la touchait si vivement, lorsque plus tard elle la retrouvait encore en lui ; elle prévoyait qu’il la recevrait avec des paroles tendres et émues comme celles que son père lui avait adressées à son lit de mort, et que malgré tous ses efforts elle fondrait en larmes ; mais enfin il fallait, tôt ou tard, en venir là, et elle entra résolument dans la chambre.
    Couché sur un large sofa, soutenu par une pile de coussins, en robe de chambre fourrée de petit-gris, maigre et pâle, tenant son mouchoir dans une de ses mains d’une blancheur diaphane, tandis qu’il passait doucement l’autre sur sa fine et longue moustache, le prince André tourna ses yeux vers celles qui entraient. La princesse Marie ralentit involontairement son pas ; quand elle vit l’expression de la physionomie et du regard de son frère, ses sanglots s’arrêtèrent, ses larmes se séchèrent, et elle eut peur, comme une coupable. « Suis-je donc coupable ? » se dit-elle. « Tu l’es, parce que tu es pleine de vie et d’avenir, tandis que moi… » lui répondit

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