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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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tombèrent sur la figure pâle d’un Français effaré qui serrait convulsivement le bois de la lance dirigée contre lui.
    « Hourra ! mes enfants ! » s’écria Pétia, et, talonnant son cheval couvert d’écume, il enfila la rue du village.
    Des coups de feu s’échangeaient à quelques pas de là. Des cosaques, des hussards, des prisonniers russes déguenillés, couraient en tous sens, en criant à tue-tête. Un jeune Français, la tête découverte, se défendait à la baïonnette contre les hussards : lorsque Pétia arriva, il était déjà à terre. J’ai encore été en retard, » se dit-il en se dirigeant du côté où la fusillade était plus vive ; on se battait dans la cour où Dologhow et lui étaient entrés la veille ; les Français, retranchés derrière la haie et dans le fouillis de buissons du jardin, tiraient sur les cosaques massés autour de la porte cochère. Il aperçut, à travers la fumée de la poudre, la figure pâle de Dologhow, qui criait à ses hommes :
    « Prenez-les à revers et que l’infanterie ne bouge pas !
    – Ne pas bouger ?… Hourra ! » s’écria Pétia, et, sans s’arrêter une seconde, il s’élança au plus épais de la mêlée.
    Une décharge fendit l’air, les balles sifflèrent, les cosaques et Dologhow entrèrent à sa suite dans la cour de la maison ; au milieu des nuages de fumée, on voyait des Français jeter là leurs armes, ou se précipiter à la rencontre des cosaques, tandis que d’autres dégringolaient de la montagne vers l’étang. Pétia continuait à galoper dans la cour de la maison, mais, au lieu de tenir la bride en main, il gesticulait d’une façon étrange des deux bras à la fois, et se penchait de plus en plus d’un côté de sa selle. Son cheval, venant à se heurter contre les tisons d’un foyer à demi éteint, s’arrêta court, et Pétia tomba lourdement à terre. Ses pieds et ses mains s’agitèrent un moment, tandis que sa tête restait immobile : une balle lui avait traversé le cerveau. Un officier français sortit de la maison avec un mouchoir blanc au bout de son épée, et déclara à Dologhow qu’ils se rendaient. Celui-ci, descendant alors de cheval, s’approcha de Pétia, qui gisait sur le sol, les bras étendus.
    « Fini ! » dit-il les sourcils froncés, et il alla à la rencontre de Denissow.
    « Tué ! » s’écria ce dernier en devinant de loin, à cet abandonnement du corps qu’il connaissait si bien, que Pétia était mort.
    « Fini ! » répéta Dologhow, comme s’il éprouvait un plaisir particulier à prononcer ce mot, et il rejoignit les prisonniers qu’entouraient les cosaques.
    « Nous le laisserons là, » cria-t-il à Denissow, qui ne lui répondit rien.
    De ses mains tremblantes, celui-ci avait relevé la figure, maculée de boue et de sang, du pauvre Pétia… « Je suis habitué à manger des douceurs, c’est du raisin sec excellent, prenez-le tout »… Ces paroles lui revinrent involontairement à la mémoire, et les cosaques se regardèrent stupéfaits, en entendant des sons rauques, pareils au jappement d’un chien, qui sortaient de la poitrine oppressée de Denissow. Se retournant tout à coup, il se cramponna convulsivement à la palissade.
    Parmi les prisonniers russes qui venaient d’être délivrés, se trouvait Pierre Besoukhow.

XI
    Les autorités françaises n’avaient pris aucune nouvelle disposition pour le transport des prisonniers dont Pierre faisait partie. Aussi, à dater du 22 octobre, ne suivaient-ils plus les mêmes troupes qu’à leur sortie de Moscou. Une partie du train de subsistances qui, pendant les premiers jours, formait l’arrière-garde de l’armée, fut enlevée par les cosaques, et le reste les devança. L’artillerie, qui les précédait dans le principe, se trouvait maintenant remplacée par les énormes fourgons de bagages du maréchal Junot, escortés par un détachement de Westphaliens. Les troupes qui, jusqu’à Viazma, marchaient en trois colonnes, avançaient maintenant pêle-mêle, et le désordre, dont Pierre avait aperçu les symptômes à la première étape, était arrivé à son comble. Les deux côtés du chemin étaient jonchés de cadavres de chevaux ; des hommes en haillons, des traînards de différentes armes, tantôt se joignaient à eux, tantôt restaient en arrière. De fausses alertes leur avaient plus d’une fois causé des paniques indescriptibles. Les soldats du convoi tiraient au hasard, se

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