La Guerre et la Paix - Tome III
poussé ces gens à de tels actes ? voilà les questions involontaires, naïves et pourtant des plus légitimes que se pose l’homme lorsqu’il se trouve en face des monuments et des traditions de la période passée de ce mouvement.
C’est pour résoudre ces questions que nous nous tournons vers la science de l’histoire, qui se propose de révéler aux peuples et à l’humanité la connaissance d’eux-mêmes.
Si l’histoire s’en tenait au point de vue antique, elle devrait dire : la Divinité, afin de récompenser ou de punir son peuple, a donné le pouvoir à Napoléon et en a fait l’instrument de sa volonté pour l’accomplissement de ses buts. Cette réponse serait ainsi claire et complète. L’on peut croire ou refuser de croire à la mission divine de Napoléon ; mais pour celui qui croit, toute l’histoire de cette période devient compréhensible et ne laisse place à aucune contradiction.
Mais l’histoire moderne ne saurait répondre de cette façon. La science n’admet plus l’idée antique de l’intervention directe de la Divinité dans les actes de l’humanité, et, par conséquent, elle doit apporter d’autres réponses.
L’histoire moderne, en répondant à ces questions, nous dit : vous tenez à savoir la signification et l’origine de ce mouvement, et quelle force a produit de tels événements ? Écoutez :
Louis XIV était un personnage particulièrement fier et présomptueux ; il avait telles maîtresses et tels ministres et il gouvernait mal la France. Ses successeurs furent des hommes faibles qui, eux aussi, gouvernaient mal. Eux aussi avaient tels favoris et telles favorites. De plus, quelques gens ont écrit des livres durant cette époque-là. À la fin du XV ème siècle, se trouvaient réunis à Paris une vingtaine d’hommes qui se mirent à dire que tous les hommes sont égaux et libres. Il en résulta que partout en France des gens se mirent à tuer, à noyer leurs semblables. Ces gens-là tuèrent leur roi, ainsi qu’une quantité d’autres personnes. À ce même moment, il y avait en France un homme de génie, Napoléon. Il remportait partout des victoires, c’est-à-dire qu’il tuait beaucoup de monde parce qu’il était un grand génie. Et il partit tuer, on ne sait pourquoi, des Africains ; il les tuait si proprement, il était si rusé et si intelligent, qu’à son retour en France il put donner à tous l’ordre de lui obéir. Et tous lui obéirent. S’étant fait empereur, il partit encore une fois tuer du monde en Italie, en Autriche, en Prusse. Et il en tua beaucoup. En Russie régnait alors l’empereur Alexandre qui avait décidé de rétablir l’ordre en Europe, et pour cette raison faisait la guerre à Napoléon. Mais en 1807, il devint tout à coup son ami jusqu’en 1811, où il se brouilla de nouveau avec lui et où de nouveau tous deux tuèrent de compagnie quantité de gens. Et Napoléon amena six cent mille hommes en Russie et conquit Moscou. Alors l’empereur Alexandre, conseillé par Stein et d’autres, unit toute l’Europe contre celui qui troublait sa tranquillité. Tous les alliés de Napoléon devinrent soudain ses ennemis, et cette levée en masse partit à la rencontre des nouvelles forces recrutées par Napoléon. Les Alliés furent vainqueurs, entrèrent à Paris, obligèrent Napoléon à renoncer au trône et l’envoyèrent à l’île d’Elbe, mais sans le dépouiller de son titre d’empereur et en témoignant toutes sortes d’égards à cet homme qui, cinq ans auparavant et un an plus tard, fut considéré par tous comme un brigand hors la loi. Et Louis XVIII, dont jusque-là les Français et les Alliés n’avaient fait que rire, se mit à régner. Quant à Napoléon, il abdiqua en versant quelques larmes devant sa vieille Garde, et partit pour l’exil. Ensuite des hommes d’État et des diplomates habiles (en particulier Talleyrand qui avait eu le temps de s’asseoir avant tout autre dans certain fauteuil, et d’élargir par ce moyen les frontières de la France) eurent des entretiens à Vienne, et par ces entretiens rendirent les peuples heureux ou malheureux. Mais tout à coup voilà les diplomates et les monarques qui se querellent ; ils sont déjà prêts à donner l’ordre à leurs armées de s’entre-tuer ; mais à ce moment Napoléon rentra en France avec un bataillon ; et les Français qui le haïssaient se soumirent tous aussitôt à lui. Les monarques alliés s’en irritèrent et
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