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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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Moscou serait abandonné, qu’il fallait fuir et sauver ce qu’on pouvait. On sentait que tout allait s’écrouler, mais jusqu’au 1 er septembre il n’y avait rien de changé en apparence, et, comme le criminel qui regarde encore autour de lui quand on le mène au supplice, Moscou continua, par la force de l’habitude, à vivre de sa vie ordinaire, malgré l’imminence de la catastrophe qui allait le bouleverser de fond en comble.
    Ces trois jours se passèrent pour la famille Rostow dans les agitations et les soucis de l’emballage. Tandis que le comte courait la ville en quête de nouvelles et prenait des dispositions générales et vagues pour son départ, la comtesse surveillait le triage des effets, courait après Pétia qui la fuyait, et jalousait Natacha qui ne le quittait pas. Sonia seule s’occupait avec soin et intelligence de tout faire emballer. Depuis quelque temps, elle était triste et mélancolique. La lettre de Nicolas dans laquelle il parlait de son entrevue avec la princesse Marie, avait fait naître, chez la comtesse tout un monde d’espérances qu’elle n’avait pas même cherché à dissimuler devant elle, car elle voyait le doigt de Dieu dans cette rencontre. « Je ne me suis jamais réjouie, avait-elle dit, de voir Bolkonsky fiancé à Natacha, tandis que j’ai toujours désiré de voir Nicolas épouser la princesse Marie, et j’ai le pressentiment que cela aura lieu… Quel bonheur ce serait !… » Et la pauvre Sonia était bien forcée de lui donner raison, car un mariage avec une riche héritière n’était-il pas le seul moyen de relever la fortune compromise des Rostow ? Elle en avait le cœur gros, et, pour faire diversion à son chagrin, elle avait pris sur elle l’ennuyeux et difficile travail du déménagement, et c’était à elle que s’adressaient le comte et la comtesse lorsqu’il y avait un ordre à donner. Pétia et Natacha, qui au contraire ne faisaient rien pour aider leurs parents, gênaient tout le monde et entravaient la besogne. On n’entendait dans toute la maison que leurs éclats de rire et leurs courses folles. Ils riaient sans savoir pourquoi, uniquement parce qu’ils étaient gais et que tout leur était matière à plaisanterie. Pétia, qui n’était qu’un gamin quand il avait quitté la maison maternelle, se réjouissait d’y être revenu jeune homme ; il se réjouissait aussi de n’être plus à Biélaïa-Tserkow, où il n’y avait aucun espoir de se battre, et d’être de retour à Moscou, où, bien sûr, il sentirait la poudre. Natacha, de son côté, était gaie parce qu’elle avait été trop longtemps triste, parce que rien ne lui rappelait en ce moment la cause de son chagrin, et qu’elle avait retrouvé sa belle santé d’autrefois ; ils étaient gais enfin parce que la guerre était aux portes de Moscou, et qu’on allait s’y battre, parce qu’on distribuait des armes, parce qu’il y avait des pillards, des partants, du tapage et qu’il se passait de ces événements extraordinaires qui mettent toujours l’homme en train, surtout dans son extrême jeunesse.

XIII
    Le samedi 12 septembre, tout était sens dessus dessous dans la maison Rostow ; les portes étaient ouvertes, les meubles emballés ou déplacés, les glaces, les tableaux enlevés, les chambres pleines de foin, de papiers, et de caisses que les gens et les paysans du comte emportaient, à pas lourds et traînants. Dans la cour se pressaient plusieurs chariots, dont quelques-uns étaient déjà tout chargés et cordés, tandis que les autres attendaient à vide, et que les voix des nombreux domestiques et des paysans retentissaient dans tous les coins de la cour et de l’hôtel. Le comte était sorti. La comtesse, à laquelle le bruit et l’agitation venaient de donner la migraine, étendue sur un fauteuil dans un des salons, se mettait des compresses de vinaigre sur la tête. Pétia était allé chez un camarade, avec lequel il comptait passer de la milice dans un régiment de marche. Sonia assistait dans la grande salle à l’emballage de la porcelaine et des cristaux, et Natacha, assise par terre dans sa chambre démeublée, au milieu d’un tas de robes, d’écharpes et de rubans, jetés de côté et d’autre, tenait à la main une vieille robe de bal démodée, dont elle ne pouvait détacher les yeux : c’était celle qu’elle avait mise à son premier bal à. Pétersbourg.
    Elle s’en voulait d’être oisive dans la maison au milieu de

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