La jeune fille à la perle
son
fauteuil, fronçant les sourcils. « Tu commences par me dire que la coiffe
est blanche mais qu’elle n’est pas peinte en blanc. Puis tu me racontes que la
jeune fille fait une chose à moins que ce ne soit autre chose. À la fin, je m’y
perds, moi. » Il passa la main sur son front comme s’il avait mal à la
tête.
« Je vous demande pardon,
père. J’essaye de vous le décrire avec précision.
— Mais que veut raconter
ce tableau ?
— Ses tableaux ne
cherchent pas à raconter quoi que ce soit. »
Il ne réagit pas. Il avait été
pénible pendant tout l’hiver. Si Agnès avait été là, elle aurait réussi à le
dérider. Elle avait l’art de le faire rire. « Mère, voulez-vous que
j’allume les chaufferettes ? » demandai je, me détournant de mon père
pour cacher mon agacement. Aveugle, il pouvait aisément percevoir l’humeur des
autres si bon lui semblait. Je n’appréciais pas qu’il critique ce tableau sans
l’avoir vu, ou le compare aux carreaux de faïence qu’il peignait autrefois.
J’aurais voulu lui dire que s’il pouvait seulement voir ce tableau, il
comprendrait qu’il n’y avait rien de bien compliqué. Sans doute ne cherchait-il
pas à raconter quelque histoire, mais c’était malgré tout un tableau dont on ne
pouvait détacher son regard.
Tandis que nous discutions, ma
mère s’activait autour de nous, remuant le pot-au-feu, ravivant le feu,
disposant les assiettes et les chopes, aiguisant un couteau pour couper le
pain. Sans attendre sa réponse, j’emportai les chaufferettes dans le débarras
où l’on gardait la tourbe. En les remplissant, je m’en voulus de m’impatienter
contre mon père. Je rapportai les chaufferettes et les allumai. Après les avoir
placées sous nos chaises autour de la table, je guidai mon père jusqu’à sa
place tandis que ma mère servait le pot-au-feu et versait la bière. Mon père
goûta et grimaça. « Tu n’as rien rapporté du Coin des papistes pour faire
passer cette espèce de bouillie ? marmonna- t-il.
— Je n’ai pas pu. Tanneke était de mauvaise humeur, j’ai
préféré me tenir à l’écart de la cuisine. » À peine ces mots étaient-ils
sortis de ma bouche que je devais les regretter.
« Et pourquoi ça ?
Qu’as-tu fait ? » De plus en plus, mon père me cherchait noise,
allant jusqu’à prendre le parti de Tanneke.
Il me fallait être rapide.
« J’ai renversé tout un pichet de leur meilleure bière. »
Ma mère m’adressa un regard
lourd de reproche. Elle savait quand je mentais. Si mon père n’avait pas été en
triste état, sans doute s’en serait-il rendu compte à ma voix.
Je faisais pourtant des progrès
dans ce domaine.
Alors que j’allais repartir, ma
mère insista pour m’accompagner une partie du chemin malgré une pluie glaciale
et drue. Au moment où nous parvenions au canal Rietveld et allions tourner sur
la droite, vers la place du Marché, elle me dit : « Tu vas bientôt
avoir dix-sept ans.
— La semaine prochaine,
confirmai-je.
— D’ici peu, tu seras une
femme.
— Oui, d’ici peu », répondisse
sans détourner mon regard des gouttes de pluie qui ricochaient sur le canal. Je
n’aimais pas penser à l’avenir.
« J’ai entendu dire que le
fils du boucher s’intéresse à toi.
— Qui vous a dit
ça ? »
Pour toute réponse, ma mère
chassa du revers de la main les gouttes de pluie sur son bonnet et secoua son
châle. Je haussai les épaules.
« Je suis sûre qu’il ne
s’intéresse pas plus à moi qu’aux autres filles. »
Je m’attendais à ce qu’elle me
mette en garde, à ce qu’elle me demande d’être une fille bien sage, de veiller
à l’honneur de notre nom, mais au lieu de cela elle reprit : « Ne te
montre pas grossière à son égard. Souris-lui et sois aimable. »
Ces paroles me surprirent, mais
en la regardant je lus dans ses yeux cette envie de manger de la viande que
seul pouvait satisfaire un fils de boucher et je compris pourquoi elle avait
laissé là son orgueil.
En tout cas, elle ne me posa
pas de questions sur mon mensonge. Je ne pouvais leur dire pourquoi Tanneke
était en colère contre moi. La vérité cachait un bien plus grand mensonge. J’en
aurais trop à expliquer.
Tanneke avait découvert ce que
je faisais pendant ces après-midi où j’étais censée coudre.
Je l’aidais, lui.
*
Cela avait commencé deux mois
plus tôt, par un après-midi de janvier, peu après la
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