La jeune fille à la perle
pas ? »
Il fit semblant de trinquer et
but.
*
Sitôt la fête terminée, l’hiver
s’abattit sur nous, la maison devint d’une glaçante austérité. Après le gros
travail nécessaire pour tout remettre en ordre, il n’y avait plus guère
d’éclaircies en perspective dans notre horizon quotidien. Les filles, y compris
Aleydis, devinrent difficiles. Elles exigeaient de l’attention et n’aidaient
que rarement. Maria Thins se mit à passer plus de temps qu’avant dans ses
appartements. Franciscus, si calme pendant toute la durée de la fête, commença
à souffrir de coliques et à pleurer presque sans arrêt. On entendait ses petits
cris aigus dans toute la maison et jusque dans la cour, l’atelier ou la cave.
Compte tenu de son caractère, Catharina se montrait d’une surprenante patience
à l’égard du bébé, en revanche elle ne ménageait ni le reste de la maisonnée ni
même son mari.
Si, pendant les préparatifs de
la fête, j’avais réussi à oublier Agnès, maintenant son souvenir me revenait
plus vif que jamais. J’avais le temps de penser, je pensais trop. J’étais comme
le chien qui, à force de lécher ses plaies pour les nettoyer, les avive.
Le pire, c’était qu’il était en
colère contre moi. Depuis le soir où Van Ruijven m’avait coincée dans le
couloir, ou, qui sait, depuis que Pieter fils m’avait souri, il se montrait
distant. Il semblait aussi que je me trouvais plus souvent sur son chemin
qu’auparavant. Il avait beau sortir fréquemment, en partie pour fuir les pleurs
de Franciscus, on aurait dit que je rentrais toujours dans la maison quand il
en partait, que je descendais l’escalier au moment où il le montait ou que je
balayais la salle de la Crucifixion quand il y cherchait Maria Thins. Je le
rencontrai même sur la place du Marché, un jour où je faisais une course pour
Catharina. À chaque fois, il inclinait poliment la tête, puis s’effaçait pour
me laisser passer, sans même me regarder.
Je l’avais offensé, mais
j’ignorais de quelle façon.
L’atelier était devenu, lui
aussi, d’une glaciale austérité. Si jadis il donnait l’impression d’être animé
et de servir à quelque chose, n’était-ce pas là que des tableaux voyaient le
jour ? Il n’était plus désormais qu’une simple pièce qui n’attendait que
la poussière, malgré mes fréquents coups de balai. Je ne voulais pas que la
tristesse s’y installe. Je voulais m’y réfugier, comme autrefois.
Un matin, Maria Thins monta en
ouvrir la porte et la trouva déverrouillée. Scrutant la pénombre, nous
aperçûmes mon maître assis devant la table, la tête sur les bras, tournant le
dos à la porte. Maria Thins sortit à reculons.
« Il a dû venir ici à
cause des pleurs du bébé », marmonna-t-elle.
Je tentai de jeter un autre
coup d’oeil, mais elle me barra le passage. Elle referma doucement la porte.
« Laissons-le tranquille.
Tu feras le ménage plus tard. »
Le lendemain matin, j’ouvris
tous les volets de l’atelier et regardai autour de moi, en quête de quelque
chose à faire, d’un meuble que je pourrais toucher sans offenser mon maître,
d’un objet que je pourrais déplacer sans qu’il le remarquât. Tout était à sa
place : la table, les chaises, le bureau encombré de livres et de papiers.
Pinceaux et couteaux étaient alignés avec soin sur le bahut, le chevalet était
adossé au mur, les palettes toutes propres étaient placées à côté. Les objets
dont il s’était servi dans la composition de son tableau avaient été rangés
dans la réserve ou remis en service dans la maison.
Une des cloches de la
Nouvelle-Église se mit à sonner l’heure. Je m’approchai de la fenêtre et
regardai au-dehors. Avant le sixième coup, j’avais pris ma décision. J’allai
chercher de l’eau chaude sur le feu, un peu de savon, des chiffons propres et
je revins à l’atelier où j’entrepris de laver les vitres. Je dus monter sur la
table pour atteindre celles du haut.
J’en étais à la dernière
fenêtre quand je l’entendis entrer dans la pièce. Ouvrant de grands yeux, je me
retournai et le regardai par-dessus mon épaule gauche.
« Monsieur… »,
bredouillai-je.
Je ne savais trop comment lui
expliquer mon initiative.
« Arrêtez. »
Je me figeai, terrifiée à
l’idée que j’avais fait quelque chose qui fût contraire à ses désirs.
« Ne bougez plus. »
Il me dévisageait comme si un
fantôme était apparu dans
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