La jeune fille à la perle
père. A-t-il entrepris un autre
tableau ? »
Il espérait toujours que je lui
décrirais un nouveau tableau.
« Non », répondis-je.
J’avais passé peu de temps dans
l’atelier cette semaine-là. Rien n’y avait changé.
« Il est peut-être de
nature indolente, avança ma mère.
— Sûrement pas !
protestai-je.
— Il n’a peut-être pas
envie de voir, hasarda mon père.
— À vrai dire, j’ignore de
quoi il a envie », répondis-je plus vivement que je n’en avais
l’intention.
Ma mère me regarda. Mon père
remua dans son fauteuil.
Je ne dis plus un mot sur lui.
*
Le jour de la fête, les invités
commencèrent à arriver vers midi. Le soir, il y avait peut-être une centaine de
convives qui entraient et sortaient, fourmillant jusque dans la cour et dans la
rue. Les invités étaient de toutes conditions, de riches marchands côtoyaient
notre boulanger, notre tailleur, notre cordonnier et notre apothicaire. On y
rencontrait les voisins, la mère et la soeur de mon maître, les cousins de Maria
Thins aussi bien que des peintres et d’autres membres de la Guilde, Van
Leeuwenhoek, Van Ruijven et son épouse.
Même Pieter père était là, pour
une fois il n’avait pas son tablier taché de sang. En me voyant passer près de
lui avec un pichet de vin épicé, il me salua et me sourit. Tandis que je le
servais, il me dit :
« Mon fils sera sûrement
jaloux quand il apprendra que j’ai passé cette soirée avec toi.
— Voilà qui
m’étonnerait ! » dis-je tout bas en m’éloignant, embarrassée.
Tous les regards étaient
tournés vers Catharina. Elle était vêtue d’une robe de soie verte qu’on avait
élargie car son ventre était encore proéminent. Elle portait sa veste jaune
bordée d’hermine dans laquelle la femme de Van Ruijven avait posé. Il était
étrange de voir ce vêtement sur une autre femme. Je ne l’aimais pas sur elle,
toutefois, il lui appartenait, c’était donc son droit de le mettre. Elle
s’était parée d’un collier de perles et de boucles d’oreilles, ses cheveux
blonds et bouclés étaient joliment arrangés. Très vite remise de son
accouchement, elle était gaie et avenante, on sentait son corps soulagé du
fardeau qu’il avait porté pendant des mois. Elle allait et venait avec aisance,
buvait et riait avec ses invités, allumait des chandelles, veillait à ce que
tous soient servis, présentait les gens les uns aux autres. Elle ne s’arrêta
que pour cajoler ostensiblement Franciscus au moment où la nourrice lui donnait
le sein.
Mon maître, lui, était beaucoup
plus calme. Il passa la majeure partie de la soirée dans un coin de la grande
salle à s’entretenir avec Van Leeuwenhoek. Toutefois, ses yeux suivaient souvent
Catharina tandis qu’elle évoluait parmi ses invités. Il portait une élégante
veste de velours noir et arborait sa toque de paternité. Il semblait détendu,
mais plutôt indifférent à la fête. Contrairement à son épouse, il n’aimait pas
les grandes réceptions.
Plus tard, ce soir-là, Van
Ruijven réussit à me coincer dans le vestibule alors que je le traversais avec
une chandelle et un pichet de vin.
« Ah ! mais c’est la
demoiselle aux grands yeux ! s’écria-t-il en se penchant sur mon corsage.
Bonsoir, ma petite. »
D’une main, il saisit mon
menton tandis que de l’autre il levait le bougeoir pour éclairer mon visage. Sa
façon de me regarder me déplut.
« Vous devriez faire son
portrait », lança-t-il pardessus son épaule.
Mon maître était là. Il
fronçait les sourcils. De toute évidence, il voulait répondre à son client,
mais aucun son ne sortit de sa bouche.
« Griet, donne-moi un peu
plus de vin. »
Pieter père avait surgi de la
salle de la Crucifixion, il me tendait sa coupe.
« Tout de suite,
Monsieur. »
Je dégageai mon menton et
m’approchai rapidement de Pieter père. Je sentis deux paires d’yeux dans mon
dos.
« Oh ! pardonnez-moi,
Monsieur, mais le pichet est vide. Je vais aller le remplir à la
cuisine. »
Je m’éloignai en toute hâte,
pressant le pichet contre moi pour qu’on ne voie pas qu’il était plein.
Quand je revins, quelques
minutes plus tard, seul Pieter père était encore là, adossé au mur.
« Merci », dis-je à
voix basse en lui versant du vin.
Il me fit un clin d’oeil.
« Vois-tu, cela en valait
la peine, rien que pour t’entendre m’appeler Monsieur. Ça sera la dernière
fois, n’est-ce
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