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La jeune fille à la perle

La jeune fille à la perle

Titel: La jeune fille à la perle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Tracy Chevalier
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avaient condamné. Au lieu de cela,
j’essayai d’imaginer le tableau achevé, accroché dans l’étal de Pieter père, en
vente pour dix florins, le simple portrait d’une femme écrivant une lettre.
    Ce fut en vain.
    Il était de bonne humeur cet
après-midi-là, sinon je ne le lui aurais pas demandé. J’avais appris à jauger
son humeur, non point d’après le peu qu’il disait ni même d’après l’expression
de son visage, il ne laissait guère paraître quoi que ce fût, mais à sa façon
d’aller et venir dans l’atelier et le grenier. Quand il était heureux, quand il
travaillait bien, il arpentait la pièce d’un pas assuré, précis. S’il avait été
musicien, il aurait chantonné ou siffloté tout bas. Quand, au contraire, cela
n’allait pas bien, il s’arrêtait, regardait par la fenêtre, ne tenait pas en
place, commençait à grimper à l’échelle menant au grenier et, parvenu à
mi-hauteur, redescendait.
    « Monsieur »,
hasardai-je, quand il monta au grenier ajouter de l’huile de lin à la céruse
que je venais de finir de broyer. Il travaillait à la fourrure de la manche.
L’épouse de Van Ruijven n’était pas venue ce jour-là, mais je m’étais aperçue qu’il
pouvait peindre certains éléments de son portrait en son absence.
    Il me regarda étonné.
« Vous disiez, Griet ? »
    Maertge et lui étaient les deux
seuls de la maison à m’appeler par mon prénom.
    « Vos tableaux sont-ils
catholiques ? »
    Il s’arrêta, le flacon d’huile
de lin en suspens au-dessus de la coquille contenant la céruse. Il baissa la
main, tapota le flacon contre le dessus de la table.
    « Qu’entendez-vous par
là ? »
    J’avais parlé sans réfléchir,
je ne savais que répondre. J’essayai une autre question. « Pourquoi y
a-t-il des tableaux dans les églises catholiques ?
    — Êtes-vous déjà entrée
dans une église catholique, Griet ?
    — Non, Monsieur.
    — Dans ce cas, vous n’avez
jamais vu de tableaux, de statues ou de vitraux dans une église, n’est-ce
pas ?
    — Non.
    — Vous n’avez donc vu des
tableaux que dans des maisons, des boutiques ou des auberges ?
    — Et au marché.
    — Oui, au marché.
Aimez-vous regarder des tableaux ?
    — Oui, Monsieur, j’aime
ça. » Je commençais à croire qu’il ne me répondrait pas, qu’il se contenterait
de me poser des questions à n’en plus finir.
    « Que voyez-vous quand
vous en regardez un ?
    — Eh bien, ce que le
peintre a représenté, Monsieur. »
    Même s’il approuva d’un signe
de tête, je sentis que je n’avais pas répondu ce qu’il aurait souhaité m’entendre
répondre.
    « Par conséquent, quand
vous regardez le tableau dans l’atelier, que voyez-vous ?
    — Une chose est sûre, je
ne vois pas la Vierge Marie », dis-je, plutôt pour défier ma mère que pour
répondre à sa question.
    Il me regarda, surpris.
« Vous vous attendiez à voir la Vierge Marie ?
    — Oh ! non, Monsieur,
répliquai-je, troublée.
    — À votre avis, ce tableau
est catholique ?
    — Je ne sais pas,
Monsieur. Ma mère m’a dit…
    — Votre mère n’a pas vu ce
tableau, n’est-ce pas ?
    — Non.
    — Dans ce cas, elle ne peut
pas vous dire ce que l’on y voit ou ce que l’on n’y voit pas.
    — Non. » Il avait
beau avoir raison, je n’aimais pas l’entendre critiquer ma mère.
    « Ce n’est pas le tableau
qui est catholique ou protestant, reprit-il, mais ceux qui le regardent et ce
qu’ils s’attendent à voir. Un tableau dans une église est comme une chandelle
dans une pièce obscure, on s’en sert pour mieux voir. Elle est un pont entre
Dieu et nous-même, mais ce n’est pas une chandelle protestante ou une chandelle
catholique, c’est juste une chandelle.
    — Nous n’avons pas besoin
de ce genre de choses pour nous aider à voir Dieu, rétorquai-je. Nous avons sa
parole et c’est assez. »
    Il sourit. « Saviez-vous,
Griet, que j’ai été élevé protestant ? Je me suis converti lors de mon
mariage. Par conséquent, vous n’avez pas besoin de me faire des sermons, j’ai
déjà entendu tout ça. »
    Je le regardai, ahurie. Je
n’avais jamais entendu parler de qui que ce soit ayant décidé un beau jour de
ne plus être protestant. J’avais peine à croire qu’il fût vraiment possible de
changer, mais il l’avait fait.
    Il semblait attendre ma
réaction.
    « Même si je ne suis
jamais entrée dans une église catholique, commençai-je

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