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La jeune fille à la perle

La jeune fille à la perle

Titel: La jeune fille à la perle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Tracy Chevalier
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qu’a répondu votre
père ?
    Il n’a pas réagi, il va y
réfléchir. »
    J’avais le coeur gros. Catharina
lui avait demandé de choisir entre le coffret à bijoux et moi. Il ne pouvait
avoir les deux. Je savais toutefois qu’il n’éliminerait du tableau ni le
coffret ni les perles, me permettant ainsi de rester au grenier. Il préférerait
se débarrasser de moi, je ne lui servirais plus d’assistante.
    Je ralentis le pas. Toutes ces
années passées à aller chercher de l’eau, à essorer des vêtements, à laver par
terre, à vider des pots de chambre, sans espoir d’entrevoir la moindre beauté,
couleur ou lumière dans ma vie, défilèrent devant moi comme une immense plaine,
au bout de laquelle on apercevait la mer sans jamais pouvoir l’atteindre. S’il
ne m’était plus possible de travailler avec les couleurs, s’il ne m’était plus
possible d’être auprès de lui, je ne savais comment je pourrais continuer à
travailler dans cette maison.
    Une fois arrivées chez le
boucher, voyant que Pieter fils n’était pas là, mes yeux s’emplirent de larmes.
Je ne m’étais pas rendu compte que je voulais voir son beau visage empreint de
bonté. Si confus que fussent mes sentiments à son égard, il représentait pour
moi une façon de m’échapper du quotidien. Il me rappelait l’existence d’un
autre monde qui m’était ouvert. Sans doute n’étais-je pas si différente de mes
parents qui voyaient en lui leur salut, une façon d’être assurés d’avoir de la
viande sur leur table.
    Pieter père fut tout aise de
voir mes larmes. « Je dirai à mon fils que tu as pleuré en constatant son
absence, déclara-t-il en lavant son billot.
    — Je vous demande de ne
rien en dire, marmonnai-je. À propos, Maertge, que nous faut-il
aujourd’hui ?
    — Du boeuf pour un ragoût,
s’empressa-t-elle de répondre. Quatre livres. »
    Je m’essuyai les yeux à un coin
de mon tablier. « J’ai une mouche dans l’oeil, dis-je brusquement.
Peut-être que ce n’est pas si propre que ça par ici. La saleté attire les
mouches. »
    Pieter père éclata de
rire : « Une mouche dans son oeil, qu’elle dit ! De la saleté par
ici ! Bien sûr qu’il y a des mouches, c’est le sang qui les attire, pas la
saleté ! La meilleure viande est la plus rouge, c’est aussi celle qui
attire le plus de mouches. Tu t’en apercevras toi-même un jour. Pas besoin de
prendre de grands airs avec nous, Madame. »
    Il fit un clin d’oeil à Maertge.
« Et vous, mademoiselle, qu’en pensez-vous ? Notre jeune Griet
est-elle en droit de critiquer un endroit où elle-même servira d’ici quelques
années ? »
    Maertge s’efforça de ne pas
paraître froissée, mais elle était de toute évidence surprise de l’entendre
ainsi suggérer que je pourrais bien ne pas passer le restant de mes jours dans
sa famille. Elle eut le bon sens de ne pas lui répondre, montrant certain
intérêt subit pour le bébé qu’une cliente de l’étal voisin tenait dans les
bras.
    « Je vous en supplie,
glissai-je tout bas à Pieter père, ne dites ce genre de choses ni à elle ni à
personne de la famille, même pour plaisanter. Je suis leur servante, voilà ce
que je suis. Suggérer autre chose est se montrer irrespectueux à leur
égard. »
    Pieter père me regarda. La
couleur de ses yeux variait au gré des caprices de la lumière. Même mon maître
aurait eu du mal à les peindre. « Sans doute as-tu raison, concéda-t-il.
Je sens qu’il va falloir que je fasse attention quand je te taquinerai ;
mais, crois-moi, mon enfant, tu ferais bien de t’habituer aux mouches. »
     
    *
     
    Il ne retira pas le coffret à
bijoux et il ne me demanda pas de m’en aller, préférant rapporter chaque soir
le coffret, les perles et les boucles d’oreilles à Catharina, qui les enfermait
dans le bahut de la grande salle où elle rangeait le mantelet jaune. Le matin,
lorsqu’elle ouvrait la porte de l’atelier, elle me tendait le coffret à bijoux,
ma première tâche étant de les replacer sur la table et de préparer les boucles
d’oreilles les jours où l’épouse de Van Ruijven venait poser. Depuis le seuil
de la porte, Catharina me regardait mesure avec mes bras et mes mains, des
gestes qui auraient paru étranges à qui que ce soit. Jamais cependant elle ne me
posa de question. Elle n’osait pas. Cornelia devait être au courant du problème
avec le coffret à bijoux. Sans doute, comme Maertge, avait-elle entendu

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