La jeune fille à la perle
lentement, je crois que
si j’y voyais un tableau, il ressemblerait aux vôtres, bien qu’il n’y ait pas
de scènes de la Bible, de la Vierge à l’Enfant ou de la Crucifixion. »
J’eus un frisson à la seule
pensée du tableau accroché au-dessus de mon lit, quand je dormais à la cave.
Il reprit le flacon et versa
avec soin quelques gouttes d’huile dans la coquille. À l’aide de son couteau à
palette, il entreprit de mélanger les deux ingrédients jusqu’à ce que la
peinture ait la consistance du beurre dans une cuisine où il fait chaud. Je
regardai, fascinée par le mouvement du couteau argenté dans la peinture d’un
blanc crème.
« Il existe une différence
entre catholiques et protestants en ce qui concerne la peinture,
m’expliqua-t-il tout en travaillant. Mais elle n’est pas forcément aussi
importante que vous pourriez l’imaginer. La peinture peut parfois servir à des
fins spirituelles pour les catholiques, mais rappelez-vous aussi que les
protestants voient Dieu partout et en toute chose. En peignant des objets
courants tels que des tables, des chaises, des coupes, des aiguières, des
soldats ou des servantes, ne glorifient-ils pas aussi la création
divine ? »
J’aurais souhaité que ma mère
l’entende, il aurait même réussi à l’aider à comprendre.
*
Catharina n’appréciait pas de
devoir laisser son coffret à bijoux dans l’atelier, car elle ne pouvait y avoir
accès. Elle se méfiait de moi, d’une part parce qu’elle ne m’aimait pas, mais
aussi parce qu’elle avait trop entendu d’histoires de domestiques volant les
petites cuillères en argent de leurs maîtresses. Voler et séduire le maître de
maison, voilà ce à quoi s’attendaient ces dames de la part de leurs
domestiques.
Comme je l’avais découvert avec
Van Ruijven, c’était plutôt l’homme qui courait après la servante que le
contraire. Pour lui, une servante ne coûtait rien.
Bien qu’elle lui demandât
rarement son avis sur des questions ménagères, Catharina alla demander à son
mari d’intervenir. Je n’entendis pas leur conversation, Maertge me la raconta.
À cette époque, Maertge et moi nous entendions bien. Elle avait soudain mûri,
ne s’intéressant plus aux enfants de son âge, leur préférant ma compagnie le
matin, quand je travaillais. Je lui appris à asperger le linge d’eau pour qu’il
blanchisse au soleil, je lui appris aussi à retirer les taches de graisse grâce
à un mélange de sel et de vin, ou à frotter la semelle du fer à repasser avec
du gros sel pour qu’il ne colle pas et ne brûle pas le linge. Elle avait les
mains trop délicates pour les faire travailler dans l’eau, aussi lui
permettais-je de me regarder tout en refusant de la laisser se les mouiller.
Les miennes étaient en triste état, elles étaient calleuses, rouges et
crevassées, en dépit des remèdes de ma mère pour les adoucir. J’avais des mains
de travailleuse et je n’avais pas encore dix-huit ans.
Maertge me rappelait un peu ma
soeur Agnès, c’était une fille pleine de vie, prompte à décider, mais c’était
aussi l’aînée, et elle en avait le sérieux. Elle s’était occupée de ses soeurs
comme je m’étais occupée de mon frère et de ma soeur. Elle était ainsi devenue
une fille réfléchie, qui se méfiait des changements.
« Maman veut récupérer son
coffret à bijoux », m’annonça-t-elle alors que nous passions près de
l’étoile de la place du Marché, en nous rendant aux halles. « Elle en a
parlé à papa.
— Qu’a-t-il
répondu ? » Les yeux fixés sur les branches de l’étoile, je
m’efforçai de prendre un ton détaché. J’avais remarqué, ces temps derniers,
que, chaque matin, lorsqu’elle ouvrait pour moi la porte de l’atelier, elle
jetait un coup d’oeil dans la pièce où se trouvaient ses bijoux.
Maertge hésita. « Maman
n’est pas contente de savoir que vous passez la nuit là-haut avec ses
bijoux », finit-elle par m’avouer. Elle n’ajouta pas que ce qui
inquiétait, en fait, Catharina, c’était que je ramasse les perles sur la table,
mette le coffret sous mon bras et m’échappe par la fenêtre vers une autre ville
et une autre vie. Maertge essayait de m’avertir à sa façon. « Elle veut
que vous retourniez dormir en bas, poursuivit-elle. La nourrice s’en ira
bientôt, et il n’y a pas de raison de vous laisser au grenier. Elle a même dit
que c’était ou le coffret à bijoux ou vous.
Et
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