La jeune fille à la perle
s’arrêta de broyer les couleurs.
« Que se passe-t-il,
Griet ? »
Il me parlait avec douceur, ce
qui m’encouragea à dire ce que je ne pouvais cacher.
« Monsieur, finis-je par
avouer, j’ai besoin de votre aide. »
Je restai dans ma chambre du
grenier assise sur mon lit pendant qu’il parlait avec Catharina et Maria Thins.
Ils fouillèrent Cornelia, puis les affaires des filles dans l’espoir de
retrouver le peigne de ma grand-mère. Maertge le découvrit caché dans la grande
coquille que le boulanger leur avait offerte le jour où il était venu voir son
tableau. Sans doute était-ce à ce moment-là que Cornelia avait échangé les
peignes, elle avait dû descendre du grenier quand les enfants jouaient dans le
débarras et avait fait disparaître mon peigne dans la première cachette venue.
C’est à Maria Thins qu’il
revint de fouetter Cornelia, mon maître fit bien comprendre que ce n’était pas
dans ses obligations de père et Catharina s’y refusa tout en sachant que
Cornelia devait être punie. Maertge me raconta plus tard que Cornelia ne pleura
pas, affectant un air méprisant pendant la fessée.
Ce fut aussi Maria Thins qui
vint me trouver au grenier. « Eh bien ! ma fille, me dit-elle en
s’appuyant à la table du mortier, on peut dire que tu as lâché le renard dans
le poulailler.
— Mais je n’ai rien
fait ! protestai-je.
— Non, mais tu t’es
débrouillée pour te créer des ennemis. Pour quelle raison ? Nous n’avons
jamais eu autant de problèmes avec des domestiques. »
Elle eut un petit rire, mais
derrière ce rire, on la sentait grave. « Disons qu’il t’a soutenue à sa
façon, reprit-elle, et cela prévaut sur tout ce que Catharina, Cornelia,
Tanneke ou moi pourrions dire contre toi. »
Elle lança le peigne de ma
grand-mère sur mes genoux, je l’enveloppai dans un mouchoir, le rangeai dans le
bahut, puis je me tournai vers Maria Thins. Si je ne le lui demandais pas
maintenant, je ne le saurais jamais. Ce pourrait être la seule et unique fois
où elle accepterait de me répondre. « S’il vous plaît, Madame, qu’a-t-il
dit ? À mon sujet ? »
Maria Thins me regarda d’un air
entendu. « Ne te fais pas d’illusions, ma fille. Il n’a dit que très peu
de choses à ton sujet, mais c’était sans équivoque. Du fait qu’il soit descendu
et se soit inquiété de cette affaire, ma fille a su qu’il prenait ton parti.
Non, il l’a accusée de ne pas élever ses enfants convenablement. Il était,
vois-tu, beaucoup plus adroit de la critiquer que de chanter tes louanges.
— A-t-il expliqué que je
l’aidais ?
— Non. »
Même si je m’efforçais de ne
rien en laisser paraître, cette seule question avait dû révéler mes sentiments.
« Mais je le lui ai dit à
elle, sitôt qu’il était parti, précisa Maria Thins. C’est ridicule, toutes ces
allées et venues en tapinois, ces cachotteries dans son dos et, qui plus est,
sous son propre toit. » On aurait pu croire qu’elle m’en accusait, mais
elle marmonna soudain : « J’avais une plus haute opinion de
lui. » Elle s’arrêta, comme si elle regrettait d’avoir par trop révélé le
fond de ses pensées. « Quelle a été sa réaction à elle ?
— Disons qu’elle
n’apprécie guère, bien sûr, mais elle redoute surtout sa colère. » Maria
Thins eut alors une légère hésitation. « Il y a une autre raison pour
laquelle elle n’est pas affectée outre mesure, je peux aussi bien t’en faire part
dès maintenant : elle attend à nouveau un enfant.
Un autre ? »
laissai-je échapper. J’étais étonnée que Catharina voulût encore un enfant vu
le peu de moyens dont ils disposaient.
Maria Thins me tança du regard.
« Gare à toi, ma fille.
— Pardonnez-moi,
Madame. » Je regrettai sur-le-champ d’avoir dit cela. Ce n’était pas à moi
de décider de la taille de leur famille. « Le docteur est venu ?
demandai-je, pour me rattraper.
— Pas besoin. Elle en a
tous les signes, elle est passée par là un certain nombre de fois. » L’espace
d’un instant, le visage de Maria Thins trahit ses pensées, elle-même se
demandait s’il était sage d’avoir tant d’enfants. Elle reprit alors son air
sombre. « Mène à bien tes tâches habituelles, évite-la et aide-la, mais ne
va pas te pavaner devant la maison. Ta place ici n’est pas si assurée que
cela. »
J’acquiesçai de la tête et
posai mon regard sur ses mains noueuses
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