La jeunesse mélancolique et très désabusée d'Adolf Hitler
se relut, corrigea une ou deux virgules et retourna voir le consul afin qu’il joigne à la supplique sa recommandation.
Au vu des observations de la police et de l’impression que nous avons éprouvée ici, les déclarations ci-jointes formulées par Adolf Hitler correspondent à la
vérité. L’homme serait en outre atteint d’une maladie pulmonaire qui le rendrait inapte au service militaire. En conséquence, estimant que la requête en question mérite d’être prise en considération, nous avons provisoirement décidé de surseoir à l’extradition du dénommé Adolf Hitler, étant entendu qu’il devra se présenter au dernier appel du départ sous les drapeaux le 5 février à Linz. À moins que le magistrat de cette ville ne désire faire comparaitre l’intéressé à Salzbourg, en raison de sa situation et de sa pauvreté.
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La réponse arriva le lendemain sous la forme d’un télégramme laconique autorisant le dénommé Adolf Hitler à se présenter aux frais du consulat le 5 février à Salzbourg.
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Le jeudi 5, muni d’un billet de seconde classe fourni par le consul, Adolf prit le train pour la ville natale de Mozart.
S’étant scientifiquement affamé, il se présenta devant les médecins du conseil de révision amaigri de cinq kilos, le geste ralenti, l’œil éteint.
Adolf sortit de la caserne muni d’un certificat du Landesevidenzreferat sur lequel était écrit :
Il est certifié qu’Adolf Hitler, né le 20 avril 1889 à Braunau am Inn, domicilié à Munich, fils d’Aloïs et de Klara née Pölzl, a été jugé trop faible pour le service militaire et déclaré inapte.
Il célébra sa victoire en se gavant de gâteaux dans une pâtisserie de la Getreidegasse : une heure plus tard, dans le train pour Munich, il vomissait tout.
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« L’espèce humaine est unique par certains comportements qui lui sont propres : compulsion irrésistible au génocide, plaisir intense pris à torturer n’importe qui, n’importe quoi, n’importe qu’elle espèce, avec une préférence clairement assumée pour la sienne. »
Déclaration d’investiture de Thrall, roi des Orcs de Durotar.
Dimanche 28 juin 1914.
Sarajevo-Munich.
Engoncé dans ses habits neufs, Nedjelko Cabrinovic (dix-neuf ans et cinq mois) s’adossa au mur blanchi à la chaux qui prolongeait l’atelier. Il ôta sa casquette et, ne sachant que faire de ses bras, il les laissa ballants.
En face de lui sur le trottoir, le photographe vissait son appareil à plaques sur un solide trépied.
– C’est votre jour de chance, voyez cette belle lumière, mes photographies seront bien nettes ! dit l’homme de l’art avec un accent croate.
Dans un mouvement de vampire prenant congé, il disparut sous son voile noir.
Ébloui par le soleil qui l’obligeait à plisser les yeux, Cabrinovic raidit sa pose. Il s’était acheté des vêtements la
veille afin de faire un mort bien habillé ; cette photographie était destinée à l’artiste qui sculpterait sa statue lorsqu’il serait devenu un héros de la patrie serbe… dans une petite heure, si le cortège n’avait pas de retard.
– Souriez, jeune homme, c’est bien mieux, dit la voix du photographe assourdie sous le voile.
Cabrinovic secoua la tête en signe de refus. Il posait pour la postérité et il ne voulait pas laisser de lui une joyeuse dernière impression ; d’autant plus que cette photographie serait forcément reproduite dans tous les livres d’histoire serbes. Il songea alors à son abruti de père qui serait contraint de se décoiffer chaque fois qu’il passerait devant sa statue… Son père, un Serbe bosniaque, cafetier d’un mètre quatre-vingt-dix, brute intégrale qui avait obtenu sa licence en devenant indicateur au bénéfice de la police d’occupation autrichienne : quand il ne cognait pas sur son fils, il cognait sur sa femme et ses deux filles. Cabrinovic le haïssait ; on pouvait même affirmer qu’il était devenu patriote serbe seulement pour se désolidariser de son mouchard de géniteur… et aussi pour que ses amis cessent de le traiter d’espion autrichien !
À l’instant où le photographe terminait son temps de pose, vingt-quatre coups de canon tirés des forteresses surplombant la capitale annoncèrent l’arrivée en gare de Sarajevo de l’archiduc héritier François-Ferdinand et de son épouse morganatique, la duchesse Sophie. L’archiduc venait en Bosnie pour commander les manœuvres des 15 e et 16 e
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