La jeunesse mélancolique et très désabusée d'Adolf Hitler
par les nationalistes serbes comme une provocation autrichienne de très mauvais goût. S’ajoutaient à cela les récentes manœuvres militaires qui avaient eu pour thème l’attaque de la Serbie par les forces impériales : tout pour rendre une colombe belliqueuse.
Sans hâte, Cabrinovic se dirigea vers l’emplacement qui lui avait été désigné deux heures plus tôt, alors qu’ils étaient tous les sept attablés à la terrasse du café Zlatna Moruna.
– Nous savons que, pour se rendre à l’hôtel de ville, le cortège va passer le long du quai Appel, et nous savons que l’archiduc sera dans la deuxième voiture, leur avait dit d’une voix basse Danilo Ilic, un ancien instituteur devenu journaliste.
À l’instar de Mohamed Mehmedbasic (vingt-sept ans), Danilo Ilic avec ses vingt-quatre ans risquait la peine de mort dans cette aventure, contrairement aux cinq autres encore mineurs.
– Mehmedbasic, toi, tu te places devant le jardin du café Mostar, et toi Cabrinovic, tu vas en face, côté rivière… Cubrilovic, toi, tu te placeras à l’entrée du pont Cumurija, et toi, Popovic, de l’autre côté, en face de Cubrilovic pour le couvrir au cas où ce serait nécessaire…
Avant de poursuivre, Ilic avait terminé sa tasse de café turc (plus de marc que de café) et s’était essuyé les lèvres avec le pouce et l’index ; il utilisait les mêmes doigts pour lisser sa fine moustache.
– Toi, Princip, tu te places à l’entrée du pont Lateiner… et toi, Grabez, tu vas en face, au coin de la Franz-Josef… Des questions ?
– Et toi, tu te places où ? avait demandé Cabrinovic d’un ton déplaisant.
– Nulle part et partout, je suis là pour superviser l’opération… Je ferai la navette le long du quai.
– Ah ! c’est donc pour cela que tu n’as pas d’arme ?
Ilic n’avait pas répondu. Il n’appréciait pas Cabrinovic. Il le trouvait trop bavard, très vantard, querelleur et, pour tout dire, incontrôlable. Or, tout le monde savait qu’il fallait de la discipline et du sang-froid pour faire un honnête conspirateur ; de plus, une rumeur persistante le disait fils d’un indicateur de police. Hier, lors de la distribution des armes et du poison, Ilic lui avait donné une bombe et une capsule de cyanure, et quand Cabrinovic avait protesté, il l’avait mouché d’un sec : Toi, tu tires trop mal pour avoir un pistolet, tu raterais une vache dans un couloir ! Une semaine durant, en mai, ils s’étaient tous entraînés au tir au pistolet dans la position debout à deux cents mètres, et en courant à soixante mètres : le grand Cabrinovic (un mètre soixante-dix) avait raté sa cible quatre fois sur dix, tandis que le petit Gavrilo Princip (un mètre soixante et dix-neuf ans et onze mois) avait atteint sa cible huit fois sur dix.
Danilo Ilic avait consulté sa montre-bracelet : 8 h 30.
– Soyez à vos postes à partir de 10 heures, mais pas plus tard. Si le programme est respecté, le cortège passera deux fois par le quai. Une première fois de la gare à l’hôtel de ville, et si nous le ratons, une seconde fois de l’hôtel de ville au musée d’État. Ce qui veut dire, messieurs, que nous avons deux chances de réussir, et c’est bien mieux qu’une seule…
Nedjelko Cabrinovic cessa ses ruminations en arrivant le premier sur le quai Appel (C’est moi qui le tuerai ! C’est moi le héros ici, c’est moi qui aurai une statue, pas eux !).
Le quai était pratiquement vide. Malgré l’heure matinale le soleil tapait dur et les rares spectateurs s’étaient regroupés à l’ombre des arbres qui longeaient la Miljacka. Certaines
façades étaient pavoisées aux couleurs des Habsbourg. Au-dessus de la porte de la Banque d’Autriche-Hongrie, on avait suspendu un portrait de François-Ferdinand en grande tenue, médailles pendantes, moustaches en croc, air hautain. Comme pour se rassurer, Cabrinovic toucha la bombe glissée dans la poche intérieure de sa veste. En fait de bombe, il s’agissait d’une sorte de grenade offensive, rectangulaire, fabriquée dans l’arsenal de Kragujevac et destinée à l’armée serbe.
Milan Ciganovic, l’instructeur de la Main noire, un Bosniaque engagé volontaire pendant les deux guerres balkaniques de 1912 et 1913, leur avait expliqué le maniement de l’engin (D’abord, vous enlevez la goupille, ensuite vous brisez le détonateur contre quelque chose de dur… contre un réverbère ou un rebord
Weitere Kostenlose Bücher