La jeunesse mélancolique et très désabusée d'Adolf Hitler
garda les yeux baissés, reconnaissant à leurs jambes les gens qu’ils croisaient.
– Ça sent bon chez vous ! complimenta le policier.
Personne ne relevant, il ravala la suite de son compliment.
– Vous m’emmenez où, Herr Inspektor ?
– Au consulat d’Autriche, mais comme il est fermé le dimanche, nous allons au commissariat central. Vous y passerez la nuit.
Accablé par une telle perspective, Adolf baissa la tête pour demander d’une voix piteuse s’il serait possible de lui ôter ces infamantes menottes avant qu’il apparaisse dans la rue.
– Je vous donne ma parole de peintre académique que je ne chercherai pas à m’enfuir.
– Dienst ist Dienst ! répéta l’intraitable, lui faisant signe d’avancer.
***
Accroupi le plus loin possible des deux clochards qu’il soupçonnait, non sans raison, d’être infestés de Cimex lectularius , Adolf passa une mauvaise nuit à ruminer ce qu’il aurait dû dire ou ce qu’il aurait dû faire pour éviter un pareil déshonneur. J’aurais dû aller à Berlin ; là-bas, ils ne m’auraient jamais retrouvé !
Prudemment éloigné comme lui des clochards, un pickpocket tzigane pris en flagrant délit dans un tramway chantonnait d’une voix de fille en regardant le plafond de la cellule.
Le cœur gros, Adolf baissa la tête et nota que ses chaussures avaient besoin d’un coup de brosse. Après l’asile de nuit, la prison : décidément la vie ne lui épargnait rien ! À quand la prochaine humiliation ? Le bagne militaire peut-être ? Il frémit en songeant, en vrac, à sa mère, à son père, à Gustl, à Stefanie, à Loup Très Méchant, à Ludwig, à Raubal… et aussi à la grosse part de tarte que Frau Popp lui réservait chaque dimanche soir…
À la première heure de la matinée, les policiers sortirent le prisonnier de sa cellule et l’escortèrent, menottes aux poignets, jusqu’au consulat autrichien ; là, tel un vulgaire colis, ils l’échangèrent contre un reçu et s’en allèrent.
L’air sévère du consul face à l’insoumis s’adoucit considérablement au fur et à mesure qu’il prenait connaissance des résultats de l’enquête de moralité jointe au dossier de police. Les renseignements recueillis auprès des commerçants de la Schleissheimerstrasse, comme auprès de ses voisins d’étage, de son logeur, des marchands qui lui achetaient ses tableaux, le décrivaient comme un garçon courtois, dépourvu de dettes comme de vices apparents ; on ne lui connaissait aucune mauvaise fréquentation, féminine ou autre.
– Herr Hitler, pourquoi un sujet de Sa Majesté aussi respectable que ce rapport le laisse entendre n’a jamais répondu aux convocations des autorités militaires ?
Ayant mis à profit sa nuit pour élaborer sa défense, Adolf se lança dans un émouvant plaidoyer capable de tirer des larmes à une paire de lunettes. Utilisant une série d’habiles raccourcis, il amalgama sa maladie pulmonaire (il disait début de phtisie), la disparition prématurée de ses parents et son double échec à l’Académie pour expliquer sa déchéance.
– Là où je croupissais, et le terme n’est pas exagéré, Herr Konsul , la poste ne pouvait me joindre. Je n’ai jamais reçu ces convocations.
– Hum, hum… mais alors pourquoi quitter le pays ?
– Pour tenter une nouvelle fois ma chance en me présentant aux Beaux-Arts de Munich. Je compte m’inscrire pour la session de septembre.
Le consul relut le rapport sans trouver d’éléments contredisant ce qu’il venait d’entendre.
– De plus, Herr Konsul , la convocation m’ordonne d’être à Linz le 20 ! C’est-à-dire demain ! Je n’aurai jamais le temps de trouver l’argent nécessaire à l’achat de mon billet de train.
Le consul se leva.
– Voici ce que vous allez faire : vous allez écrire une demande de sursis que je transmettrai aux autorités militaires avec un avis favorable.
Il installa le jeune homme dans un bureau voisin, lui fournit du papier, un porte-plume et un godet d’encre violette.
L’enjeu étant d’importance, Adolf tourna le porte-plume sept fois dans sa bouche avant de se décider.
Au département II du conseil municipal de Linz.
Le dimanche 18 janvier à 3 heures et demie de l’après-midi, il m’a été délivré une convocation par l’officier de police criminelle Herle du 12/14 Rottmannstrasse, m’ordonnant de me présenter le 20 aux autorités militaires de Linz, faute de quoi
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