La jeunesse mélancolique et très désabusée d'Adolf Hitler
obéis d’aucune façon !… D’ailleurs il vaut mieux déchirer cette lettre idiote !
August n’eut que le temps de lui arracher des mains le fascicule de mobilisation.
– Non, Adolf, c’est trop grave. Ils peuvent me mettre en prison.
– Il ne manquerait plus que tu serves dans une pareille armée ! Sais-tu seulement que, sur cent soldats, vingt-neuf à peine sont d’origine allemande ?
August montra les paumes de ses mains en signe d’impuissance.
– Que veux-tu que j’y fasse ?
– Déchire cette lettre.
– Non, je ne veux pas aller en prison comme déserteur !
Adolf redressa sa mèche.
– Ça vaudrait mieux que de servir les Habsbourg !
– Et toi alors ? Qu’est-ce que tu vas faire quand ils t’appelleront l’année prochaine ?
Adolf était de la classe 1909.
– Qu’est-ce que tu crois ? J’y ai déjà réfléchi. J’irai en Allemagne et je m’engagerai dans l’armée du Reich. Tu oublies que nous sommes avant tout des Germains ?
– Oh moi, tu sais…
August avait quitté l’école à l’âge de douze ans pour aider son père à l’atelier, aussi n’avait-il pas connu les mouvements pangermanistes qui agitaient les établissements scolaires de toute la Cisleithanie.
Adolf arpenta la pièce les mains dans le dos, signe d’intense réflexion.
– D’abord, rien ne dit que tu sois bon pour le service ! N’oublie pas que l’année dernière tu as eu une grave pneumonie et tu y as réchappé de justesse ! Je te le dis comme je le pense, Gustl, ils vont te réformer et on se sera fait du souci pour rien.
– Pourquoi ils me réformeraient ? Je suis en bonne santé !
Adolf balaya l’air d’un geste définitif.
– Voilà ce que tu vas faire : passe ton conseil de révision à Linz, et s’ils t’acceptent, tu traverses vite en fraude la frontière près de Passau. Je te montrerai exactement où il faut passer pour éviter les douaniers.
– Et après, qu’est-ce que je fais ?
– Tu vas à la première caserne en vue et tu t’engages dans la glorieuse armée du Reich allemand.
– Tu crois ?
– Ah oui alors !
Considérant l’incident clos, Adolf reprit la lecture de l’ Alldeutsches Tagblatt .
– Je vais te lire ce qu’ils racontent sur ce qui s’est passé hier au soir… et pourtant c’est un journal parfaitement germain, mais alors là, en ce qui concerne Mahler, ils ne disent que des âneries ! Écoute plutôt.
***
Avant de quitter Vienne, August montra son Stellungsbefehl au directeur du Conservatoire.
– En tant qu’élève de notre Conservatoire, deux choix se présentent à vous, Herr Kubizek. Vous pouvez servir comme volontaire pendant un an ( Einjährig-Freiwilliger ), ou bien vous pouvez vous présenter dans un régiment de réserve dans lequel vous aurez seulement deux mois de service à faire, suivi toutefois de trois périodes d’un mois d’exercices avec armes ( Ersatzreserve ).
– Monsieur le directeur, on m’a dit que, si je me rendais en Allemagne, je pourrais ne pas faire du tout de service militaire.
Herr Direktor avait toisé son élève avec sévérité.
– Um Gottes Willen ! Je vous le déconseille vivement, jeune homme !
August se rendit à Linz, passa son conseil de révision et fut déclaré apte.
***
Le 18 novembre, valise dans une main, panier de victuailles préparées par sa mère dans l’autre, la tête pleine d’anecdotes à caractère militaire, August descendit du train de nuit. Contre toute attente, Adolf ne l’attendait pas sur le quai. Était-il souffrant ? Avait-il oublié de se réveiller ? Peut-être la carte postale le prévenant de son arrivée s’était-elle égarée ?
Une Frau Zakreys souriante lui ouvrit la porte.
– Herr Kubizek, quelle surprise ! Entrez, je vous prie, j’étais justement en train de prendre le thé avec mon nouveau locataire. Joignez-vous à nous.
– Et Adolf, Frau Zakreys, où est Adolf ?
La Tchèque ne cacha pas sa surprise.
– Herr Hitler a déménagé la semaine dernière.
– Mais pour aller où ? Il vous a laissé un mot, une adresse, un plan peut-être ?
– Non, il n’a rien laissé, ni pour vous ni pour personne.
– Mais… mais… je vais le retrouver comment ? Et puis je vais dormir où maintenant ?
Frau Zakreys lui offrit de l’héberger pour la nuit. Il la suivit dans l’appartement. Avec la disparition du piano, la grande pièce l’était redevenue. August eut un pincement au
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