La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
d’une manière trop grossière, soit dans leur personne, soit dans leurs sentimens. Enfin fatigué de cette orgie, le chef ordonna à tous ses joyeux compagnons de se réunir autour de lui.
– Mes braves et sages conseillers, dit-il, nous, roi de tout ce qui vaut la peine d’être prisé en Écosse, nous oublions les heures qui s’écoulent lorsque la coupe circule, lorsque la beauté s’attendrit, lorsque la folie s’éveille et que la raison dort sur son grabat. Nous laissons à notre vice-régent le roi Robert la tâche ennuyeuse de retenir sous son pouvoir des nobles ambitieux, de satisfaire l’avidité du clergé, de subjuguer de sauvages montagnards et d’apaiser les querelles sanglantes. Et puisque notre empire est celui de la paix et des plaisirs, il est à propos que nous réunissions toutes nos forces pour secourir ceux de nos sujets qui par une malheureuse destinée deviennent prisonniers des soucis et de la maladie. Je veux parler principalement de sir John que le vulgaire appelle Ramorny. Nous ne l’avons point vu depuis le tumulte de Curfew-Street ; et quoique nous sachions qu’il a tant soit peu souffert dans cette affaire, nous ne pouvons concevoir pour quelle raison il n’est point venu rendre hommage, comme un sujet loyal et soumis. – Venez ici, notre héros d’armes de la Calebasse ; avez-vous légalement invité sir John à prendre part à la fête ?
– Je l’ai fait, milord.
– Et lui avez-vous fait connaître que pour cette nuit nous suspendions sa sentence d’exil ? Car si de plus hauts pouvoirs ont arrangé cette affaire, nous pouvons nous donner la liberté de prendre un joyeux congé de notre vieil ami.
– C’est ainsi que je me suis expliqué, milord, répondit le comique héraut d’armes.
– Il n’a point envoyé un mot d’écrit, lui qui se pique d’être un si grand clerc ?
– Il était couché, milord, et je ne l’ai point vu. J’ai entendu dire qu’il vivait très retiré, tant à cause des contusions qu’il avait reçues que par le chagrin qu’il éprouvait de sa disgrace. Il redoutait d’être insulté dans les rues, car ce fut avec peine qu’il se tira des mains des bourgeois lorsqu’il fut poursuivi par ces vilains, ainsi que deux de ses serviteurs, jusque dans le couvent des dominicains. Ses domestiques mêmes ont été envoyés dans le comté de Fife dans la crainte qu’ils ne fussent indiscrets.
– C’est sagement fait, dit le prince, qui (et nous n’avons pas besoin d’en informer le lecteur intelligent) avait un meilleur titre pour être appelé ainsi que celui qu’il empruntait aux plaisirs de la soirée. Il agit prudemment en écartant les indiscrets. Mais l’absence de sir John dans cette fête solennelle décrétée depuis long-temps est une mutinerie et une renonciation à l’obéissance. Ou si le chevalier est réellement le prisonnier de l’indisposition et de la mélancolie, nous devons le favoriser d’une visite, croyant qu’il n’y a point de meilleur remède pour de semblables maladies que notre présence et un doux baiser de la Calebasse. – En avant, écuyers, musiciens, gardes et courtisans ! Montrez le grand emblème de notre dignité. – Élevez la calebasse, vous dis-je ! et que ceux qui se chargeront de porter les quartauts destinés à remplir notre coupe soient choisis parmi les plus sobres. Le fardeau est lourd et précieux, et si notre vue n’est pas trouble ils nous semblent pencher et vaciller plus que nous ne le désirerions. Maintenant partons, sires, et que nos musiciens nous jouent leurs airs les plus gais et les plus bruyans.
Ils se mirent en route à moitié ivres de joie et de vin ; les nombreuses torches reflétaient leurs rouges lumières sur les petites fenêtres et les rues étroites où des hommes en bonnet de nuit, et même quelquefois leurs femmes, regardaient en cachette pour découvrir quels étaient les turbulens qui troublaient la tranquillité publique à une heure si avancée. Enfin la bande joyeuse s’arrêta devant la maison de sir John Ramorny, qui n’était séparée de la rue que par une petite cour.
Ils frappèrent avec violence, et menacèrent de leur vengeance celui qui refuserait d’ouvrir la grille, en parlant de l’emprisonner dans un muid vide, dans le Massamore ou cachot du palais féodal du prince de Passe-temps, c’est-à-dire dans le cellier à l’ale. Mais Eviot le page de Ramorny entendait le bruit, et connaissait bien ceux qui
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