La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
moi John de Ramorny.
– Vous ! dit le prince ; c’est une plaisanterie, ou bien vous n’avez point encore recouvré votre raison.
– Si le suc de tous les pavots d’Égypte était exprimé dans une coupe, il perdrait son influence sur moi lorsque je contemple ce spectacle, reprit Ramorny ; et au même instant il tira son bras droit de dessous les couvertures de son lit et l’étendit vers le prince, enveloppé dans des appareils. – Si ces linges étaient enlevés, ajouta-t-il, vous verriez qu’un tronc sanglant est tout ce qui reste d’une main naguère toujours prête à tirer l’épée au moindre signal de Votre Altesse.
Le duc de Rothsay recula d’horreur. – Nous en tirerons vengeance, dit-il.
– Je suis déjà vengé en partie ; car il me semble que j’ai vu Bonthron il y a quelques minutes, ou bien sa figure infernale aurait-elle paru au milieu des démons, dans ce rêve affreux qui tourmentait mon esprit au moment où je me suis éveillé ? Eviot, appelle ce mécréant. Qu’il vienne, s’il est capable de se soutenir.
Eviot sortit, et revint au bout d’un instant avec Bonthron, qu’il venait de sauver de la punition d’une seconde calebasse pleine de vin, ce misérable ayant avalé la première sans qu’on pût apercevoir une grande altération dans son maintien.
– Eviot, dit le prince, que cette brute ne m’approche pas. Mon âme semble reculer devant lui de crainte et de dégoût ; il y a quelque chose dans ses regards qui n’appartient point à la nature humaine, je frissonne devant lui comme devant un odieux serpent qu’un pressentiment m’avertirait de redouter.
– Écoutez-le, milord, répondit Ramorny ; à moins qu’une outre de vin ne parlât, qui pourrait employer moins de mots dans une conversation ? Avez-vous eu affaire à lui, Bonthron ?
Le misérable éleva la hache qu’il tenait encore à la main, et la baissa en montrant le côté du tranchant.
– Bien ; comment avez-vous reconnu votre homme ? On dit que la nuit est sombre.
– Par ses vêtemens, sa tournure et sa voix.
– C’est assez, sors ! Eviot, qu’il ait de l’or et du vin pour apaiser sa soif brutale. Sors, te dis-je ! Eviot, suivez-le.
– Et quelle destinée est accomplie ? dit le prince, soulagé des sentimens d’horreur et de dégoût qu’il avait éprouvés en présence de l’assassin. J’espère que ce n’est qu’un jeu, ou bien je serais obligé d’avouer que c’est une action épouvantable. Quel est le malheureux qui a été livré à cet horrible boucher ?
– Un homme qui valait seulement un peu mieux que lui, répondit le malade, un misérable artisan, auquel néanmoins le sort avait donné la puissance de réduire Ramorny à l’état d’un estropié. Que la malédiction accompagne son vil esprit ! Sa mort n’est à ma vengeance qu’une goutte d’eau dans une fournaise. Je vais être bref, car mes idées se troublent de nouveau ; c’est la nécessité qui les retient ensemble, comme une courroie contient une poignée de flèches. – Votre vie est en danger, milord ; j’en parle avec certitude. Vous avez bravé Douglas, offensé votre oncle, mécontenté votre père ; mais cette dernière chose ne serait qu’une bagatelle sans les deux premières.
– Je suis fâché d’avoir mécontenté mon père, dit le prince (entièrement distrait d’un événement aussi insignifiant que le meurtre d’un artisan par les sujets plus importans dont il était question) ; mais si je vis, le pouvoir de Douglas sera renversé et la politique d’Albany ne lui sera d’aucun secours.
– Si, si, milord ! répondit Ramorny ; avec de semblables adversaires il ne faut point se fier à des si, à des mais . Il faut vous décider tout d’un coup à détruire ou à être détruit.
– Que voulez-vous dire, Ramorny ? Votre fièvre vous donne le délire.
– Non, milord. Ma rage fût-elle au plus haut degré, les pensées qui occupent maintenant mon esprit la justifieraient. Il se peut que le regret d’un malheur irréparable me rende désespéré, et que les craintes que je conçois pour Votre Altesse m’aient fait concevoir de hardis desseins ; mais j’ai tout le jugement que le ciel m’a donné lorsque je vous dis que si vous désirez jamais porter la couronne d’Écosse, plus encore si vous désirez jamais voir un autre jour de Saint-Valentin, il faut…
– Que dois-je faire, Ramorny ? dit le prince avec dignité ; rien
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