La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
ni en actions ; et je ne puis croire qu’il eût autorisé une semblable trahison.
– N’était-ce rien que de jeter Son Altesse du haut d’une échelle dans Curew-Street, dans la nuit du lundi-gras, dit Bonthron ; et pensez-vous que ce soit une faveur dont on puisse savoir beaucoup de gré ?
Ces paroles furent prononcées d’un ton si décidé, et l’accusation semblait si plausible, que la conviction où avait été l’armurier de l’innocence du prince en fut ébranlée.
– Hélas milord, dit-il en regardant Rothsay d’un air douloureux, serait-il possible que Votre Altesse eût voulu attenter aux jours d’un innocent pour avoir défendu, comme c’était son devoir, une pauvre fille ? – Plût au ciel que j’eusse péri dans ce combat, plutôt que de vivre pour entendre parler ainsi de l’héritier du grand Bruce !
– Tu es un brave garçon, Smith, dit le prince ; mais je ne puis m’attendre à ce que tu juges plus sagement que les autres. – Qu’on mène ce scélérat à la potence ; qu’on l’y expose vivant, si cela vous fait plaisir, afin qu’il puisse mentir impudemment, et débiter ses calomnies contre nous jusqu’au dernier moment de son existence.
En disant ces mots le prince s’éloigna, dédaignant de remarquer les sombres regards qu’on jetait sur lui à mesure que la foule s’écartait lentement et avec répugnance pour le laisser passer, et n’exprimant ni surprise ni mécontentement d’un murmure ou plutôt d’une sorte de gémissement sourd et prolongé qui accompagna son départ. Il n’y eut qu’un petit nombre des personnes de sa suite qui se retirèrent avec lui, quoique plusieurs seigneurs eussent grossi son cortége à son arrivée. Les citoyens de la classe inférieure cessèrent même de suivre le malheureux prince, que sa réputation équivoque avait déjà exposé à tant de reproches d’inconséquence et de légèreté, et autour duquel semblaient planer alors les soupçons les plus odieux.
Il se dirigea lentement et d’un air pensif vers l’église des dominicains ; mais les nouvelles sinistres qui volent avec une vitesse passée en proverbe étaient arrivées jusqu’à la retraite de son père avant qu’il parût lui-même. Lorsqu’il entra dans le palais et qu’il demanda après le roi, le duc de Rothsay fut surpris d’apprendre qu’il était en grande consultation avec le duc d’Albany qui, montant à cheval au moment où le prince s’était éloigné du lieu du combat, était arrivé au couvent avant lui. Il allait user du privilége que lui donnaient son rang et sa naissance pour entrer dans l’appartement du roi, lorsque Mac Louis, le commandant des Brandanes, lui fit entendre dans les termes les plus respectueux qu’il avait l’ordre exprès de ne point l’introduire.
– Entrez du moins, Mac Louis, et qu’ils n’ignorent pas que j’attends leur bon plaisir, dit le prince. Si mon oncle désire qu’on apprenne qu’il a eu le pouvoir de faire refuser au fils la porte de son père, ce sera un plaisir pour lui de savoir que j’attends dans l’antichambre comme un laquais.
– Ne vous déplaise, dit Mac Louis avec quelque hésitation, si Votre Altesse voulait consentir à se retirer pour quelques instans et à attendre avec patience, je l’enverrais prévenir dès que le duc d’Albany serait parti ; et je ne doute point qu’alors Sa Majesté n’admette Votre Altesse en sa présence. À présent Votre Altesse me pardonnera, mais il m’est impossible de le laisser entrer.
– Je vous entends, Mac Louis ; mais allez néanmoins, et exécutez mes ordres.
L’officier obéit, et il revint dire que le roi était indisposé, et qu’il allait se retirer dans ses appartemens particuliers ; mais que le duc d’Albany allait se rendre auprès du prince d’Écosse.
Il s’écoula cependant une grande demi-heure avant que le duc d’Albany parût, espace de temps que Rothsay passa tantôt dans un morne silence, et tantôt en propos futiles avec Mac Louis et les Brandanes, suivant que la légèreté ou l’irritation de son caractère prenait le dessus.
Enfin le duc arriva ; il était accompagné du lord grand-connétable, qui avait un air triste et embarrassé.
– Beau neveu, dit le duc d’Albany, je suis fâché d’avoir à vous annoncer que mon auguste frère est d’avis qu’il sera bon, pour l’honneur de la famille royale, que vous vous astreigniez pendant quelque temps à ne point sortir de la
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