La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
mort ; la surprise, la joie dont j’ai été transportée en le voyant vivant, et vous ne serez pas étonné que je me sois permis, sous votre protection, d’aller plus loin que mes réflexions plus calmes ne l’ont approuvé. Mais alors je ne savais pas encore tout, et je croyais que je m’exagérais le danger ; hélas ! j’ai été cruellement détrompée. Hier, l’abbesse vint ici elle-même accompagnée du dominicain. Ils me montrèrent la commission revêtue du grand sceau d’Écosse pour informer contre l’hérésie, et pour la punir ; ils me firent voir votre nom et le mien, sur une liste de personnes suspectes, et ce fut avec des larmes, avec des larmes véritables que l’abbesse me conjura de me soustraire a un destin épouvantable en entrant sans délai dans le cloître ; et le moine me donna sa parole que si j’y consentais vous ne seriez pas inquiété.
– Les crocodiles ! s’écria le gantier ; que le diable les emporte tous deux !
– Hélas ! mon père, les plaintes et les emportemens ne peuvent guère nous servir ! Mais vous voyez que je n’ai eu que trop de raisons pour me livrer aux alarmes.
– Aux alarmes ! c’est une ruine complète ! Hélas ! ma pauvre enfant, où était votre prudence quand vous vous êtes jetée la tête la première dans un pareil piége !
– Écoutez-moi, mon père, il nous reste encore un moyen de sûreté ; et souvenez-vous que c’est un parti que j’ai souvent eu dessein de prendre, ce dont je vous ai inutilement demandé la permission.
– J’entends fort bien ; le couvent. Mais quelle abbesse ou quelle prieure oserait…
– Je vais vous l’expliquer, mon père ; et vous apprendrez en même temps quelles sont les causes qui m’ont fait paraître chancelante dans mes résolutions, au point de m’attirer vos reproches et ceux des autres. Le vieux père Francis, le dominicain que j’ai pris pour confesseur par votre ordre…
– Sans doute, et je l’ai conseillé et ordonné pour faire tomber le bruit qui courait que ta conscience était entièrement sous la direction du père Clément.
– Eh bien ! ce père Francis m’engagea différentes fois à converser avec lui de différens objets sur lesquels il regardait comme probable que le père Clément m’aurait donné quelques instructions. Que le ciel me pardonne mon aveuglement ! Je tombai dans le piége, je lui parlai librement, et comme il me répondait avec douceur et en homme qui semblait désirer d’être convaincu par de bons raisonnemens, je m’exprimai avec chaleur pour défendre les points de ma croyance. Le père Francis ne se montra sous ses traits véritables et ne me laissa voir ses secrets desseins que lorsqu’il eut tiré de moi tout ce que j’avais à lui dire. Alors il me menaça d’une punition temporelle et des peines de l’éternité. Si ses menaces n’eussent été dirigées que contre moi, j’y aurais opposé de la fermeté, car j’aurais su endurer la cruauté des persécuteurs sur la terre, et je ne crois pas à leur pouvoir sur nous au-delà de cette vie.
– Pour l’amour du ciel ! dit le gantier qui était presque hors de lui en voyant augmenter le danger que courait sa fille à chaque mot qu’elle prononçait, prends bien garde de blasphémer contre la sainte Église, dont le bras est aussi prompt à frapper que ses oreilles sont habiles à entendre.
– La terreur des chatimens dont j’étais menacée, continua Catherine en levant encore les yeux vers le ciel, n’aurait eu guère d’influence sur moi. Mais quand ils parlèrent de vous impliquer dans la même accusation, j’avoue que je tremblai et que je désirai accepter le compromis qu’on m’offrait. La mère Marthe, abbesse du couvent d’Elcho, étant parente de ma mère, je lui contai ma détresse, et elle me promit de me recevoir dans son monastère, si renonçant à tout amour mondain, à toute pensée de mariage, je voulais y prendre le voile. Je ne doute pas qu’elle n’eût eu une conversation à ce sujet avec le père Francis, car tous deux me chantèrent la même chanson : – Reste dans le monde, et, ton père et toi vous serez mis en jugement comme hérétiques : Prends le voile, et les erreurs de l’un et de l’autre seront pardonnées et oubliées. Ils ne me parlèrent même pas d’abjurer des erreurs de doctrine ; une paix complète doit être la suite de mon entrée dans le couvent.
– Je n’en doute pas, je le crois sans peine. Le
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